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1964 - 2024 : 60 ans
Claude Roccati est chercheuse associée au centre d’histoire sociale des mondes contemporains et autrice d’une thèse sur l’histoire internationale de la CFDT. Elle revient sur quelques moments clés de cet engagement hors des frontières hexagonales. Analyse.
Comment peut-on qualifier l’action internationale de la CFDT depuis soixante ans ?
Du fait de sa position singulière, n’étant ni affiliée au bloc communiste ni affiliée au bloc occidental, la CFDT a eu une grande marge de manœuvre durant la guerre froide. Cela lui a offert la possibilité de choisir ses combats.
C’est ce qui lui a permis de passer du soutien aux réfugiés d’Amérique latine à la défense de Solidarność.
La CFDT, déjà avant 1964, a une tradition de soutien aux syndicalistes en difficulté dans leur pays (des réfugiés d’Europe de l’Est aux militants des anciennes colonies). On peut ensuite citer le soutien très fort aux syndicalistes chiliens, puis brésiliens et argentins dans les années 70. Et, plus récemment, ce qui s’est passé avec les syndicalistes afghans en 2021
(lire l’encadré) ou, quelques années plus tôt, avec les syndicalistes hongkongais.
La guerre d’Algérie est indissociable de la marche vers la déconfessionnalisation…
La guerre d’Algérie a été un révélateur de la capacité de transformation de la CFTC. La CFTC, un peu à l’image de la société française, n’est pas anticolonialiste dès le début. C’est au fur et à mesure de la guerre que les partisans de l’indépendance deviennent plus nombreux.
Mais ce qu’il est important de noter, c’est que la Confédération CFTC n’a pas hésité, pendant la guerre, à rompre avec les syndicats CFTC pro-Algérie française sur le territoire algérien, au nom de la défense du peuple algérien. Cela va lui donner une aura importante auprès des syndicats algériens – et plus généralement de tous les syndicats du Maghreb, en plus des actions de soutien en général plus clandestines. Cette décision, assumée à partir de 1959, symbolise son parti pris anticolonial.
1. Institut de coopération de la CFDT, l’Institut Belleville conçoit et organise des projets de coopération avec des organisations syndicales d’autres pays.
À partir de cette époque, durant laquelle la CFTC est en train de devenir la CFDT, son action en faveur de la décolonisation et de soutien aux peuples colonisés ne s’est jamais démentie : soutien aux guérillas d’Afrique australe, à la lutte contre l’apartheid, à la cause palestinienne (sans renier ses liens avec les syndicats israéliens).
À la suite de la guerre d’Algérie, s’est mise en place toute une politique de coopération avec les organisations syndicales des pays du tiers-monde. Politique qui perdure aujourd’hui avec l’Institut Belleville1.Mais il est capital de préciser qu’avant même l’indépendance de l’Algérie, la CFTC avait su comprendre, avant bien d’autres,la nécessité d’aider les syndicats, notamment africains, à se structurer de façon autonome.
La décennie suivante est marquée par le soutien de la CFDT aux syndicalistes d’Amérique latine, notamment la CUT au Brésil.
Le cas brésilien est emblématique : rien n’explique a priori que la CFDT s’engage autant aux côtés des Brésiliens de la CUT qui, autour de Lula, formeront le Parti des travailleurs. Son image d’ouverture, de figure d’autorité au sein de la gauche française avait conduit des syndicalistes brésiliens réfugiés en Europe à venir, littéralement, toquer à la porte de la CFDT pour demander de l’aide. Dans un premier temps, son action a donc été de venir en aide à ces réfugiés. Son investissement sur le sujet a ensuite pris de l’ampleur au point que des membres de la CFDT se déplacent au Brésil et accompagnent la naissance de la CUT.
Il faut bien comprendre qu’à cette époque, ce qui importe à la CFDT, c’est de venir en soutien à l’ensemble des organisations qui luttent contre les dictatures en Amérique latine. L’élément déclencheur a bien entendu été le Chili, où le gouvernement socialiste de Salvador Allende, élu démocratiquement et qui rassemble toute la gauche, est renversé en 1973 par un coup d’État militaire.
Enfin, il est impossible de ne pas évoquer le soutien de la CFDT à Solidarność.
Au moment de Solidarność, la CFDT va mettre en avant qu’au même titre qu’elle défendait les réfugiés latino-américains, la décennie précédente, contre des régimes de droite, voire très à droite, elle défend les ouvriers grévistes dans un pays communiste. C’est une constante : elle s’oppose aussi bien aux dictatures militaires qu’aux dictatures communistes. Le soutien aux opposants au sein des régimes communistes est devenu un élément important au sein de la CFDT à la fin des années 70. Le soutien à Solidarność en est la parfaite illustration. Non seulement ce sont des ouvriers, et non des intellectuels, ce qui « plaît » à une organisation syndicale, mais en plus ils parlaient d’autogestion, s’affirmaient socialistes, des notions dans lesquelles se reconnaissaient les militants CFDT de l’époque.
La fin de l’histoire de la CFDT avec Solidarność – lorsqu’en 2021 elle demande par la voix de Laurent Berger, alors président de la Confédération européenne des syndicats (CES), d’éventuelles sanctions de la part de CES en réponse au soutien affiché du syndicat polonais à l’extrême droite française – est la confirmation que la Confédération ne sacrifie pas ses principes à un passé commun. Cette logique qui consiste à faire passer ses valeurs au-dessus de tout est un élément fondamental de l’action de la CFDT à l’international.
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