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1964 - 2024 : 60 ans
Le congrès extraordinaire de novembre 1964, qui a vu la CFTC devenir la CFDT, est une étape importante de l’histoire d’une organisation qui n’a cessé de se transformer pour mieux représenter la diversité des travailleurs et répondre à leurs aspirations.
L’ambiance est électrique ces 6 et 7 novembre 1964 lors du congrès extraordinaire, qui sera plus tard appelé « congrès de l’évolution ». Eugène Descamps, alors secrétaire général de la CFTC, n’est pas sans savoir qu’une partie de l’organisation rechigne à abandonner la référence à la morale chrétienne ainsi que le sigle auquel nombre de militants sont encore attachés. À la tribune, il a cette formule, restée célèbre : « En réalité, la CFTC est déjà la Confédération française démocratique du travail. La présence en son sein de chrétiens, de juifs, d’agnostiques et de musulmans fait qu’elle est déjà cette grande centrale que les travailleurs attendent ! »
En dépit de débats âpres et parfois tendus, le congrès adopte à 70,12 % le sigle CFDT. Comme le titrera une semaine plus tard le numéro spécial de Syndicalisme : « La CFTC se continue dans la Confédération française démocratique du travail. »
Parmi les près de 30 % qui refusèrent l’évolution, les deux tiers restèrent néanmoins à la CFDT, respectant ainsi l’une de ses valeurs cardinales : la démocratie et l’acceptation du résultat majoritaire. Le dernier tiers a décidé le soir même de quitter l’organisation pour, selon leurs dires, « continuer la CFTC ».
L’apport majeur de Reconstruction
1. Il fut l’un des fondateurs en 1937 du Sgen, syndicat statutairement laïque au sein de la CFTC.
Évidemment, le congrès extraordinaire de 1964 ne vient pas de nulle part : juste après la Seconde Guerre mondiale, des militants CFTC, autour notamment de Paul Vignaux 1 ou de Fernand Hennebicq, défendent l’idée d’une évolution vers une organisation laïque et organisent le mouvement de réflexion interne Reconstruction.
Comme l’explique Hervé Hamon (coauteur avec Patrick Rotman de La Deuxième Gauche : histoire intellectuelle et politique de la CFDT), « Reconstruction était un collectif extrêmement vivant, qui produisait tout le temps et dont les idées se sont diffusées très rapidement au sein de la CFDT ». Et d’ajouter : « Il y avait chez les animateurs de Reconstruction une notion obsessionnelle : conquérir une laïcité de l’esprit, ce qui veut dire être libéré de la tutelle religieuse de l’Église mais aussi de l’idéologie communiste ou paracommuniste, bref, de croyances à la fois héritées et fabriquées afin de réussir à penser de nouveau par soi-même. Dès cette époque, ils portaient l’ambition de créer les conditions pour devenir le syndicat majoritaire en France. »
Dans une tribune publiée en juin 2004 dans Syndicalisme Hebdo, les trois anciens secrétaires généraux Edmond Maire (1971 - 1988), Jean Kaspar (1988 - 1992) et Nicole Notat (1992 - 2002) ne disaient pas autre chose : « L’autonomie de détermination du syndicat vis-à-vis des partis politiques […] et de tout mouvement de pensée […], c’est bien le sens premier de la déconfessionnalisation. »
Un syndicat en phase avec la société
Si, pour reprendre l’expression d’Hervé Hamon, « Reconstruction et 1964 ont été une sorte de moment magique, une effervescence intellectuelle prodigieuse », cet héritage n’a cessé de se diffuser par la suite. La CFDT est devenue « le syndicat, sans aucun doute, le plus en phase avec les attentes de la société ; avec l’idée qu’il ne fallait pas rater l’événement », insiste l’écrivain. Dès le début de la révolte étudiante de mai 68, la CFDT défend les jeunes et leur aspiration à plus de liberté et à changer la société ; tout comme elle arrachera, lors des accords de Grenelle, la reconnaissance de la section syndicale.
“Dans les années 1970, la CFDT est à la pointe sur l’écologie naissante, sur les réflexions autour du productivisme”
Dans les années 1970, elle est à la pointe sur l’écologie naissante, sur les réflexions autour du productivisme et, bien entendu, sur le féminisme – avec notamment Jeannette Laot en figure de proue –, au prix d’une bataille interne qui a permis à l’organisation de progresser.
L’émancipation de la CFDT se poursuit dans sa « rupture » avec le politique acté par le rapport Moreau en 1978, qui entraîne le « recentrage ». Cette autonomie, sans cesse confirmée depuis, se manifeste dans la formule « ni neutre ni partisan » et par la fin des consignes de vote données par la Confédération, depuis 1986… exception faite lorsqu’il s’agit de faire barrage à l’extrême droite.
Que reste-t-il de 1964 ?
Un demi-siècle après 1964, lors du congrès de Marseille, en 2014, est adoptée une modification du préambule des statuts de la CFDT, dans la continuité du mouvement initié par Reconstruction, comme l’expliquait Laurent Berger, alors secrétaire général, à la tribune du congrès : « Nous poursuivons simplement aujourd’hui l’évolution de 1964. Si j’ose dire, dans un débat apaisé, nous désacralisons notre déclaration de principes. Nous en retirons, en premier lieu, la référence à l’humanisme chrétien qui avait été au cœur du compromis de 1964. Non que nous renions ce passé – au contraire –, la conclusion du nouveau préambule affirme notre fidélité aux traditions humanistes et à notre histoire. » Et de conclure en formulant le vœu que ce préambule « vieillisse aussi bien que le texte de 1964 ».
Que reste-t-il aujourd’hui de 1964 ? « Il ne faut pas regarder cette période comme un âge d’or révolu, la CFDT reste fidèle à elle-même, analyse Hervé Hamon. Le Pacte du pouvoir de vivre est, en quelque sorte, dans la filiation de 1964. Et de ce qu’est la CFDT lorsqu’il faut penser et anticiper les évolutions de la société dans une période où l’on se trouve face à une nécessité d’anticipation absolument immense, en particulier pour le syndicalisme. »
Et cela tombe bien puisque, comme l’écrivaient Edmond Maire, Jean Kaspar et Nicole Notat, il y a vingt ans : « Le XXIe siècle a besoin d’un syndicalisme démocratique, fort, représentatif, délibérément européen et internationaliste, ouvert sur les questions de société. Un syndicalisme suffisamment confiant pour négocier des avancées en termes de réduction des inégalités et affronter les nécessaires remises en cause qu’imposent ses ambitions transformatrices.» Nul doute que la CFDT de 2024, désormais premier syndicat de France, correspond pleinement à cette définition que ne renieraient pas les militants de 1964.