“On fait payer à notre interlocuteur des défauts d’organisation”

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Pourquoi la société est-elle à cran ?

Sarah Chalandon Goldman est psychologue et directrice de formation chez Human and Work. Pour répondre aux besoins de certains secteurs professionnels en proie avec le sujet des violences au travail, elle et son équipe ont mis en place la "conférence théatralisée", un outil de sensibilisation.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 01/02/2025 à 09h00

Sarah Chalandon-Goldman est psychologue du travail et directrice de la formation chez Human and Work.
Sarah Chalandon-Goldman est psychologue du travail et directrice de la formation chez Human and Work.© DR

Les enquêtes attestent d’une recrudescence des incivilités et violences depuis la crise de Covid-19. Comment l’expliquer ?

Le confinement a certes eu un effet. Pendant cette période, nous avons été empêchés socialement. Préserver la continuité du lien social a été rendu plus difficile. Nous nous sommes concentrés sur notre premier cercle, nos amis, notre famille.

Mais cette recrudescence est aussi à associer à l’utilisation plus fréquente et systématique des outils numériques dans le monde du travail. Prenons le secteur des services: on demande au client d’être de plus en plus autonome dans sa démarche de résolution de problème. On lui demande de remplir les formulaires, de trouver ses réponses via la FAQ [foire aux questions] ou en discutant avec un chatbot… Ce n’est que lorsqu’il est à court de solutions qu’il peut parler à un humain. Alors, à ce moment-là, le bouchon explose, l’individu se déverse… On fait payer à notre interlocuteur les défauts de l’organisation.

Notre société de l’urgence, du « tout, tout de suite » ne conduirait-elle pas à cette impatience, et donc à cette agressivité ?

Je trouve que la généralisation comporte de nombreux risques. Les organisations actuelles du travail expliquent des phénomènes, participent à créer des tendances sociétales, bien sûr, mais les individus, avec leur tempérament, leur personnalité, ont aussi leur rôle. Ce qui est sûr, c’est que nous sommes dans une société où la performance est attendue et reconnue, et je pense qu’elle prend encore trop souvent la forme du « répondre vite » et dire oui à tout. Est-ce que cela nous mène tous à devenir intolérants à la frustration ? Je ne pense pas. Dire non aux tendances est difficile,mais pas impossible.

“Ces actes d’incivilités, qui peuvent paraître banals aux yeux de la société, ont des impacts considérables du point de vue de la santé mentale, au même titre que le harcèlement.”

Vous avez conçu la « conférence théâtralisée » comme outil de prévention des incivilités ? Quel en est le principe ?

Nous avions déjà, dans notre offre de formation, des ateliers de sensibilisation à cette problématique, mais dans le cadre
d’un sujet plus global comme le harcèlement, par exemple. Après le confinement, les banques et d’autres secteurs ont fait appel à nous pour travailler spécifiquement sur les incivilités. La conférence théâtralisée, qui met en lumière des scènes du quotidien professionnel complexes et à enjeu, nous a semblé un bon outil de sensibilisation.

Nous l’avons construite avec notre partenaire de longue date, la compagnie Un rôle à jouer. Le principe est que les comédiens imaginent des saynètes qui viennent s’intercaler entre les prises de parole du conférencier. Ce format permet des interactions avec le public tout au long de la conférence.

Quels sont les principaux sujets abordés lors de cette conférence ?

À propos de l'auteur

Emmanuelle Pirat
Journaliste

L’objectif est à la fois de donner des clés de compréhension mais aussi d’aborder la prévention et la gestion, et donc donner des clés pratiques à mettre en œuvre au moment où ces incivilités et violences adviennent. Et ce, sur les trois niveaux auxquels il convient de travailler ces questions : à l’échelle individuelle, avec des outils de communication non violente, par exemple. Mais aussi du point de vue du collectif (quelle attitude et quel soutien du groupe ?) et du point de vue des organisations de travail. Il faut bien comprendre que ces actes d’incivilités, qui peuvent paraître banals aux yeux de la société, ont des impacts considérables du point de vue de la santé mentale, au même titre que le harcèlement. Les retentissements psychiques peuvent être majeurs. Il est donc essentiel de les considérer et de les traiter.