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Pourquoi la société est-elle à cran ?
Les agents de la fonction publique territoriale sont en première ligne face aux incivilités et violences commises par les usagers. Or la prévention et l’accompagnement laissent encore à désirer.
On aurait pu imaginer qu’une commune périurbaine et tranquille comme celle d’Orvault (29 000 habitants), en Loire-Atlantique, pourrait être préservée du phénomène des violences et des agressions que subissent les agents territoriaux.
Un échange avec Leticia Denoual, secrétaire de la section CFDT de la mairie, nous prouve rapidement le contraire. « On reçoit de nombreux témoignages de collègues. Récemment, un parent impatient de récupérer son enfant à la sortie de l’école a voulu forcer le passage, une barrière empêchait le stationnement. Il a failli blesser le gardien qui assurait la sécurité de cette sortie d’école. Aux guichets, les agents d’accueil se font régulièrement insulter. Les usagers sont impatients, cela ne va jamais assez vite pour eux. » Ailleurs, en région parisienne, des agents rencontrés ont témoigné avoir subi des actes graves et très traumatisants : harcèlement et menaces sur messagerie, crachats, jet de chaise, menaces avec un couteau, chantage au suicide, etc.
Une grande enquête intitulée « Le service public local face aux violences externes contre les agent·e·s », effectuée pour le compte de l’association des DRH des grandes collectivités et publiée en mai 2024, dresse un état des lieux inquiétant de ce phénomène. Les métiers directement en contact avec le public sont les plus concernés (assistants sociaux et éducateurs spécialisés en tête), mais des faits de violence contre des agents de la propreté – comme à Quimper, en 2021, avec menace à l’arme à feu –, des ripeurs ou des agents de la voirie sont de plus en plus fréquemment recensés.
Dégradation des services publics
Parmi les nombreuses causes de ce « durcissement des rapports entre les usagers et les services publics », indique l’enquête, il y a, bien entendu, la dégradation de ces services publics. « Dans les collectivités, on a de moins en moins de moyens, moins de personnels ; le délai de réponse ou de traitement des dossiers est rallongé et donc insatisfaisant », explique Mathilde Fouché, assistante sociale à l’Espace départemental des solidarités de Fresnes (Val-de-Marne).
La dématérialisation croissante des services publics, avec la fermeture de guichets, ajoute aux difficultés et frustrations des usagers. Dans certains services, notamment sociaux, la précarisation des publics (en état de plus grande vulnérabilité économique, sociale ou de santé mentale fragilisée) aggrave les situations de tension. « Pour certains, un retard dans le versement de prestation ou d’indemnités provoque une situation d’angoisse terrible. Nous sommes en première ligne face à leurs réactions », explique l’assistante sociale, qui raconte comment un monsieur qu’elle accompagnait, « déjà très fragile », a littéralement pété les plombs après une expulsion locative. Et de poursuivre : « J’ai eu très peur. Mais cela n’était pas dirigé contre moi personnellement. Il était dans un état d’épuisement du fait de sa situation. »
« On sert d’exutoire », résume ainsi Daniel Sobredo, assistant du directeur de l’EDS d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Lui-même a fait les frais du désespoir d’un homme qui pensait que l’assistant était responsable de l’arrêt du versement de son RSA, et l’a menacé avec un couteau.
Des dispositifs de prévention insuffisants
Face à cela, les réponses des collectivités sont hétéroclites et souvent insuffisantes. Encore trop rares sont celles à s’être dotées d’un protocole très complet, comme l’a fait la Métropole de Brest, à l’initiative de la CFDT, ou de guides juridiques pour accompagner l’agent agressé. Certaines aménagent des protections physiques de leurs agents (Plexiglas®, agents de sécurité ou de médiation, alarmes placées sous les bureaux, etc.), mettent en place des campagnes d’information et de sensibilisation du public ou des formations à la gestion de « publics en crise ». Une harmonisation et un renforcement de l’accompagnement sont désormais nécessaires.