Xavier Emmanuelli : “Le monde est sur les routes” abonné

Xavier Emmanuelli, fondateur du Samu social, a publié Accueillons les migrants ! Un ouvrage dans lequel il ouvre des pistes de solution face aux mouvements migratoires qu’il appelle à cesser de considérer comme une simple crise.

Par Emmanuelle PiratPublié le 27/12/2017 à 10h43

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Nombre de voix s’élèvent pour interpeller le gouvernement et l’opinion sur la situation des migrants. Vous appelez à un « réveil des consciences ». N’est-ce pas plutôt un appel à l’action qu’il faut lancer ?

Mais bien entendu ! La seule indignation face à ce qui est en train de se passer serait vaine. C’est de solutions dont nous avons besoin. Pour autant, il est important de rappeler certains faits et chiffres, car je ne suis pas sûr qu’on ait mesuré l’ampleur du phénomène. On parle de « crise migratoire », mais non, ce n’est pas une simple crise ! La question des migrants est un phénomène planétaire sans précédent, irréversible, et qui va s’installer dans le temps, probablement sur plusieurs générations. Nous ne sommes pas face à un problème conjoncturel mais structurel, qui impacte profondément l’ensemble de nos sociétés. Le monde est sur les routes.

En 2016, on a recensé 65,6 millions de personnes déplacées de force dans le monde (soit 300 000 de plus qu’en 2015), un chiffre jamais atteint – et ce que l’on oublie souvent de dire, c’est que plus de 80 % des réfugiés le sont dans les pays en développement. L’Europe n’en accueille qu’une infime partie. En réponse, qu’observe-t-on ? Le monde se hérisse de murs. On n’en compte pas moins d’une cinquantaine ! Sans parler des murs symboliques, des ceintures de barbelé, comme dans les îles grecques. Des milliers de personnes vivent enfermées dans des centres de transit, dans des conditions purement inhumaines, dans l’attente de connaître leur sort.

Chaque jour, des personnes qui fuient pour vivre et pour faire vivre leurs enfants meurent noyées en Méditerranée (30 000 depuis 2000). Quant aux conditions d’accueil sur notre territoire, elles ne peuvent que susciter l’indignation : centres d’hébergement saturés, migrants à la rue, violences policières, mineurs isolés… Tout cela est intenable. Mais il serait injuste de ne pas souligner qu’en même temps des tas de gens prennent des initiatives en faveur des migrants. La France est aussi un pays d’accueil et de générosité.

Emmanuelli2Vous êtes critique vis-à-vis de l’Europe, dont vous dîtes qu’elle est « avachie, impuissante et criminelle » face à la question des migrants. Pour autant, vous affirmez que les solutions ne pourront venir que de l’Europe. Comment ?

L’Europe mène aujourd’hui une politique criminogène : le Règlement Dublin III* produit des clandestins, encourage les réseaux de passeurs et les mafias. Vous avez de l’argent ? Vous pouvez obtenir un quasi-laissez-passer pour l’Europe. Vous n’avez pas ces moyens ? Vous êtes la proie des exigences des passeurs. Et pour le moment, toutes les mesures prises ou envisagées à l’échelle européenne, comme la tentative d’instaurer des quotas de répartition entre les différents pays, en 2015, n’ont rien donné. Ne parlons pas de cet accord signé avec la Turquie en 2016 – pays qualifié d’« origine sûre », un comble ! –, à l’initiative de l’Allemagne, pour gérer les milliers de réfugiés arrivés de Grèce ou d’Italie, et qui confère au président turc Erdoğan une capacité de pression sans égale.

La Commission européenne étudie une proposition visant à instaurer des « quotas permanents d’accueil de demandeurs d’asile » afin de créer un mécanisme automatique de répartition, avec des sanctions financières s’ils ne sont pas respectés. Qu’en pensez-vous ?

Mais quels seraient les moyens de l’Europe pour faire respecter les quotas ? On a tenté ce style de mesures. Ce n’est pas nouveau. Il existe déjà des sanctions, elles ne sont pas appliquées.
Le gouvernement prépare un projet de loi pour une refonte du droit d’asile et de l’accueil des migrants. Quelles seraient les mesures prioritaires ?

Je ne sais pas ce que prépare le gouvernement, mais j’évoque dans mon livre plusieurs pistes d’action. À mes yeux, l’une des priorités est d’instaurer des dispositifs afin de faciliter et d’accélérer l’arrivée en France de personnes en situation de grande urgence humanitaire. Ce qui suppose un travail le plus en amont possible dans les pays de transit en Grèce ou au Liban, mais aussi dans les camps en Tunisie, au Niger ou au Maroc.
Cette idée de faire un « tri » entre les migrants peut choquer…

Vous n’êtes pas obligé de me suivre. Mais si vous prenez tout le monde, vos capacités d’accueil seront très rapidement dépassées. Et vous n’y arriverez pas. Aucun État, aucun responsable politique ne peut s’engager sur cela, les risques de déstabilisation de nos sociétés seraient trop importants. C’est pourquoi il y a un contresens dans cette notion d’« accueil inconditionnel » : il ne peut pas s’agir d’un accueil inconditionnel en nombre. L’inconditionnalité est qualitative.

Dans votre livre,…

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