“Une mauvaise réforme n’interdit pas de négocier un bon accord”

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iconeExtrait de l’hebdo n°3920

La signature d’un accord sur les fins de carrière à la SNCF le 10 avril dernier a suscité l’émoi dans le débat public. La CFDT-Cheminots dénonce une “mauvaise polémique sur un accord légitime”. Les explications de Thomas Cavel, secrétaire général de la CFDT-Cheminots.

Par Claire Nillus— Publié le 21/05/2024 à 12h00 et mis à jour le 22/05/2024 à 13h21

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© Gilles Rolle/RÉA

Ces derniers jours, on entend beaucoup dire que l’accord qui améliore les conditions financières des cheminots en fin de carrière et leur permet de se repositionner lorsqu’ils occupent des postes à pénibilité avérée coûtera cher au contribuable. Qu’en est-il réellement ?

Pour comprendre, il convient, en premier lieu, de clarifier le lien qui existe entre la SNCF et Bercy. La SNCF est, en effet, un groupe public qui appartient à l’État, qui en est l’unique actionnaire. Le groupe ferroviaire est donc placé sous une double tutelle représentée dans ses conseils d’administration : le ministère des Transports, qui a approuvé cet accord, et celui des Finances. Quoi qu’en dise Bruno Le Maire, lorsqu’un accord de ce type est négocié, les tutelles sont forcément au courant. Par ailleurs, auditionné le 7 mai dernier au Sénat, le président Farandou a bien précisé que cet accord coûtera, certes, 35 millions par an, mais qu’il sera entièrement payé par les bénéfices de la SNCF. En 2023, ils représentent 1,3 milliard d’euros. Une partie de ces bénéfices (fixée par l’État) est reversée à SNCF Réseau pour l’entretien des voies, le reste étant investi dans le groupe – pour du nouveau matériel, par exemple – et pour du droit social, en l’occurrence pour cet accord. Celui-ci sera donc financé par le travail des cheminots, en aucun cas par de l’argent public ou des augmentations tarifaires sur le dos des usagers.

Pour certains qui ont en mémoire le poids de la dette SNCF, c’est un nouveau cadeau fait aux cheminots. Que leur réponds-tu ?

La dette de la SNCF en 2018 (50 milliards d’euros) était le résultat du choix de l’État et des collectivités locales de construire des lignes à grande vitesse. Cette dette n’est pas le produit du « coût social » des cheminots ou de la masse salariale. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la dette a été requalifiée en dette d’État en 2018 par l’Insee. Toutefois, en actant à la fois la reprise d’une partie de cette dette et la fin du statut, la loi de 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a créé un lien fallacieux entre les deux. Or, les deux sujets ne sont pas à mettre sur la même ligne.

L’opinion publique a également relayé ces jours derniers que l’État versait déjà 3 milliards pour les retraites des cheminots. À quoi cela correspond-il ?

Pourquoi ces 3 milliards ? Le régime de retraite des cheminots au statut, distinct du régime général, a pris fin en 2018. Depuis, il n’y a plus assez d’agents actifs, et ce régime dérogatoire est déficitaire. La CFDT avait alerté sur les conséquences de la fermeture du statut. Sachant que la proportion de retraités diminuait naturellement puisque le nombre de cheminots baisse continuellement depuis quarante ans, le régime devait arriver à l’équilibre dans quelques années. En faisant le choix de supprimer le statut dès 2018, le gouvernement a créé ce déséquilibre qu’il doit compenser.

Pourquoi le gouvernement reproche-t-il cet accord à la SNCF ?

C’est totalement incohérent. Depuis la réforme ferroviaire de 2018, la SNCF est devenue un groupe de cinq sociétés anonymes régies par des dispositions de droit privé. Comme d’autres entreprises privées, elle peut négocier des accords qu’elle finance sur sa trésorerie propre. Cette mauvaise polémique est inquiétante. Cela veut dire que le gouvernement rejette un accord de progrès social. De plus, c’est anxiogène pour les cheminots qui se demandent comment sera leur modèle social demain. Quand le dialogue social dysfonctionne et aboutit à la grève, c’est un échec. Quand il fonctionne et produit un accord, c’est aussi un échec. Où est la logique ?

Cet accord, pour ses opposants, contourne la réforme des retraites. Le gouvernement n’a-t-il pas dit : « Allez négocier dans les branches et dans les entreprises » pour obtenir des accords mieux-disants ?

À propos de l'auteur

Claire Nillus
Journaliste

C’est exactement ce que rappelle la CFDT-Cheminots. En février 2024, Jean-Pierre Farandou a lui-même annoncé publiquement dans une interview au journal Le Monde cette négociation sur les fins de carrière et la cessation progressive d’activité. Une mauvaise réforme n’interdit pas de négocier un bon accord. C’est ce que nous avons fait.