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Extrait de l'hebdo n°3957
Dans un contexte global d’économies budgétaires, les jeunes paient rudement les choix politiques du gouvernement. Entre baisse des moyens dédiés à l’accompagnement et suppression des emplois francs dans les quartiers prioritaires de la ville, les politiques publiques sont en train d’hypothéquer l’avenir de toute une génération.

La jeunesse est-elle la grande oubliée des politiques publiques ? Si l’on se fie au discours de politique générale de François Bayrou ou aux orientations budgétaires prises dans le cadre du budget 2025, elle est en tout cas loin de passer pour une priorité. L’urgence est pourtant là. Fin janvier, alors que la Dares (le service statistique du ministère du Travail) officialisait une hausse historique du taux de chômage en général et des jeunes en particulier (+ 8,5 % au quatrième trimestre 2024), Eurostat enfonçait le clou en indiquant que la barre symbolique des 700 000 chômeurs de moins de 25 ans avait été franchie dans l’Hexagone à la fin 2024, ce qui représente 20,5 % de cette classe d’âge.
En guise de réponse, l’État a choisi de serrer encore un peu plus la vis budgétaire en baissant par exemple de 6 % les crédits versés aux missions locales, qui accompagnent chaque année plus de 1,1 million de jeunes souvent très éloignés de l’emploi. « Dans les structures, l’inquiétude est d’autant plus forte que l’État n’est pas seul à réduire sa participation. Environ 20 % du financement des missions locales dépend des Régions, qui, elles aussi, ont fait le choix de réduire la voilure, parfois drastiquement », résume Hélène Ibanez, secrétaire générale de la CFDT Protection sociale Travail Emploi. Ainsi, en Pays de la Loire, la présidente Christelle Morançais a purement et simplement supprimé toute subvention aux missions locales, quand Paca a diminué sa contribution de 40 % et que l’Île-de-France a choisi de diviser par quatre les moyens alloués en trois ans… Au-delà du coup de rabot budgétaire, c’est tout le système des missions locales et de l’accompagnement des jeunes qui est remis en question. Les conseillers, dont le nombre a déjà mécaniquement baissé, étaient mobilisés le 14 mars dernier à travers toute la France.
Des dispositifs rognés, voire supprimés
De manière générale, à défaut de politique globale, ce sont en réalité tous les dispositifs d’insertion des jeunes qui subissent un coup de frein. Si la baisse des aides à l’apprentissage en 20251 permettra sans doute de limiter les effets d’aubaine, elle n’a a priori pas encore eu d’effet sur le nombre de jeunes apprentis. « Mais le réveil risque d’être douloureux au moment de la rentrée de septembre, note Patricia Ferrand, responsable du service Emploi de la Confédération. La réforme de l’apprentissage de 2018 avait permis d’améliorer tant soit peu l’insertion des jeunes en matière de volume, même si elle n’avait pas réduit les inégalités sociales et territoriales. »
Autre coup de frein : la réduction du nombre de contrats d’engagement jeune (CEJ), lesquels ont remplacé la garantie jeunes en 2022. À l’époque, l’ambition du gouvernement était de signer 300 000 contrats, un objectif atteint dès la première année de fonctionnement avec des résultats plutôt positifs (38 % de taux de retour à l’emploi durable après six mois). La Cour des comptes, dans un rapport remis début janvier 2025, préconisait pourtant de diviser par deux le nombre de CEJ et de réduire ses critères d’attribution.
Quant aux emplois francs dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), autre dispositif destiné à l’insertion des jeunes dans l’emploi, ils ont brutalement été supprimés au 1er janvier 2025. « Ces choix ne sont pas à la hauteur des promesses qui avaient été faites à la jeunesse et hypothèquent l’avenir des jeunes », estime Patricia Ferrand.
L’urgence d’une politique globale
Serait-on passé d’une société qui investit dans sa jeunesse à une société « sacrificielle », qui lui coupe les jambes ? Selon la CFDT, le mal est profond. « Les jeunes n’ont jamais été vus comme un investissement global durable pour le pays mais comme un coût et une sous-catégorie de citoyens invisibilisée, dont on considère qu’il est normal qu’elle galère quand elle commence dans la vie active », analyse Lydie Nicol, secrétaire nationale chargée de l’insertion et des jeunes. Dès lors, « il ne suffit pas de retravailler les politiques d’insertion dans l’emploi. Si, en parallèle, on ne réfléchit pas aux passerelles entre formation initiale et formation professionnelle et que l’on ne tient pas compte des disparités sociales et territoriales, qui ont accentué les inégalités d'accès au droit, on ne sera pas à la hauteur de l'enjeu, à savoir accompagner tous les jeunes vers l'autonomie et la reconnaissance de leur citoyenneté. »
Dans ce tableau quelque peu morose de la jeunesse française, un dispositif semble perdurer : le service civique, qui vient de fêter ses 15 ans. Lancé le 10 mars 2010, il a permis à 850 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans de réaliser une mission auprès d’un organisme d’intérêt général agréé. Selon la CFDT, il a été « une voie d’entrée dans la vie active autant que dans le parcours citoyen, en donnant aux jeunes la possibilité de trouver des voies d’engagement différentes ». Mais, devenant subventionné, il n’a sans doute pas touché le public initialement visé.
À l’origine, les associations sportives, culturelles, etc., accueillaient 60 % des jeunes en service civique quand le secteur public, et notamment l’Éducation nationale, prenait les 40 % restants. Peu à peu, l’École comme les clubs sportifs ont utilisé (sous l’impulsion politique de l’État) les services civiques comme substituts aux contrats aidés, dont le nombre d’embauches a été considérablement réduit après l’été 2017. Tout récemment, ce fut au tour des services civiques, dans une lettre transmise la veille aux structures qui les employaient, de voir leur mission brutalement suspendue au 1er février, dans l’attente de l’adoption du budget de l’État. « Mis bout à bout, ces choix budgétaires et politiques ne font que renforcer le sentiment de déclassement d’une jeunesse qui se cherche une voie de passage dans cette société qui les ignore, résume Lydie Nicol. Au fil du temps, il y a eu une baisse des financements mais surtout très clairement une baisse de volonté politique. Les jeunes aujourd’hui ne sont pas les oubliés des politiques publiques mais bien les sacrifiés… »
APL des étudiants : l’alerte des CAF
Depuis plusieurs années, la hausse significative du plancher étudiant (utilisé dans le calcul des aides au logement) réduit progressivement le montant des aides versées aux étudiants, ce qui aggrave leur précarité financière. Dans les caisses d’allocations familiales (CAF), les équipes CFDT l’affirment : pour un étudiant non boursier en logement locatif, le plancher est passé de 7 800 euros en 2022 à 8 600 euros en 2025, réduisant mécaniquement le volume d’aides au logement. Une « incohérence politique », dénoncent-elles, quand, dans le même temps, le gouvernement met en avant des mesures comme le repas à un euro. La PSTE-CFDT, de son côté, demande « le gel du plancher étudiant afin d’éviter la diminution continue des aides au logement » et sonne l’alerte après du syndicat étudiant Fage pour « une réponse coordonnée ».