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Que reste-t-il des 35 heures ?
Largement porté par la CFDT, le projet de réduction du temps de travail à 35 heures par semaine s’est finalement concrétisé avec l’arrivée de la gauche au pouvoir à la fin des années 90. Histoire d’une conquête sociale qui a profondément transformé la société française.
Déjà vingt-cinq ans ! Le passage de 39 à 35 heures de travail hebdomadaires fête cette année son quart de siècle sans grand bruit. Pourtant, cette réduction massive de la durée légale du temps de travail reste aujourd’hui encore l’une des dernières grandes avancées sociales pour les salariés.
Aucune autre réforme n’a depuis touché l’ensemble de la population active et n’a autant transformé la société, comme le rappelle le sociologue Jean Viard, auteur de l’ouvrage Le Sacre du temps libre – La société des 35 heures (éd. de l’Aube) : « Pour les travailleurs, les 35 heures ont été vécues comme une nouvelle étape de la réduction du temps de travail. Cette réforme s’inscrivait dans une histoire : les 40 heures en 1936, la quatrième semaine de congés en 1968, la cinquième semaine de congés en 1981, le passage de 40 à 39 heures un an plus tard… Mais pour la gauche, qui arrive au pouvoir à cette époque, il s’agissait plutôt d’un moyen de lutter contre le chômage de masse. »
Car c’est bien là toute l’ambiguïté des 35 heures. Elles sont à la fois un acquis social plébiscité par les salariés et une politique de lutte contre le chômage.
Un projet post-soixante-huitard
« La réduction du temps de travail a toujours été une revendication ouvrière, souligne l’historien Frank Georgi. Mais cette revendication va évoluer avec le temps. » Après-guerre, il s’agit surtout d’améliorer les conditions de travail. L’heure est à la reconstruction du pays et les ouvriers travaillent énormément, jusqu’à 46 heures en moyenne par semaine, alors que le temps de travail légal est déjà à 40 heures.
Au début des années 70, d’autres motivations apparaissent. La CFDT revendique une baisse générale du temps de travail sans perte de salaire. Avec l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail, la question de la conciliation des temps se pose… et c’est une manière d’y répondre.
Puis, avec la fin des Trente Glorieuses et la montée du chômage, la CFDT développe une approche plus sociale. L’idée est de réduire le temps de travail pour faire une place dans les entreprises à une population en souffrance. La CFDT plaide alors pour une réduction du temps de travail négociée et qui s’applique de manière différenciée en fonction des réalités de chaque entreprise.
« Les 35 heures, pour la CFDT, c’était au départ un moyen de défendre le travail à temps plein des femmes, renchérit Jean Viard. Edmond Maire [secrétaire général de la CFDT de 1971 à 1988] était très sensible à cette question. Pour lui, les quatre heures gagnées dans la semaine devaient permettre aux salariés de mieux organiser leur temps. Il y avait quelque chose de nouveau à revendiquer une réduction à la semaine. L’important, c’était de reprendre la main sur son temps de travail, de conquérir des marges de manœuvre. »
Une RTT généralisée
Quand la gauche s’empare du sujet (largement inspirée par les travaux de la CFDT) en vue des élections législatives de 1997, la priorité est sans conteste la lutte contre le chômage. Jospin fait des 35 heures une promesse de campagne et, une fois Premier ministre, charge Martine Aubry (ministre de l’Emploi) de leur mise en place.
Le patronat va mettre alors tout son poids dans la balance pour éviter une baisse généralisée du temps de travail, mais il n’obtiendra pas gain de cause. Le 13 juin 1998, une première loi (Aubry I) instaure la semaine de 35 heures au 1er janvier 2000 pour toutes les entreprises de plus de vingt salariés. Elle sera complétée par la loi dite Aubry II, le 19 janvier 2000.
La gauche donne ainsi deux ans aux partenaires sociaux pour négocier le passage aux 35 heures. Deux ans qui vont se révéler d’une grande richesse pour le type de syndicalisme défendu par la CFDT, un syndicalisme de négociation qui prend en compte la réalité économique des entreprises, comme le souligne Nicole Notat, qui dirigeait l’organisation pendant cette période (lire son interview dans ce dossier).
Une période féconde en accords d’entreprise et qui verra naître les fameuses RTT, lesquelles font encore le quotidien de nombreux travailleurs aujourd’hui. Vingt-cinq ans plus tard, personne n’imagine revenir en arrière. Même le patronat ne demande pas le rétablissement des 39 heures.
À l’inverse, une nouvelle réduction généralisée du temps de travail paraît pour beaucoup utopiste. « Les 35 heures ferment en quelque sorte un cycle ouvert avec l’interdiction du travail des enfants. Une période marquée par des progrès sociaux généralisés à l’ensemble du monde du travail. On est passé à autre chose, à une conquête de droits plus individualisés. Pour autant, si l’on considère l’augmentation de l’espérance de vie, le temps passé au travail dans une vie continue de diminuer », note malicieusement Jean Viard. De nos jours, on travaille 40 % de sa vie éveillée ; sous Napoléon, cette part était de 70 %. Mais cela est une autre histoire…