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Que reste-t-il des 35 heures ?
Secrétaire générale de la CFDT de 1992 à 2002, Nicole Notat était en première ligne au moment des négociations sur les 35 heures. Elle revient sur cette période qui a profondément marqué la CFDT. Rencontre.
L’opportunité de négocier une réduction du temps de travail arrive avec la victoire de la gauche aux législatives de 1997. Comment se positionne la CFDT ?
L’histoire commence un an auparavant. En 1996, le ministre Gilles de Robien (centriste) lance les 32 heures. Déjà, l’idée était de réduire le temps de travail contre des embauches avec, à la clé, des aides financières de l’État. À ce moment-là, les premières négociations commencent. Il n’y en a pas eu beaucoup, mais elles ont été très productives. Cette première expérience nous a permis de nous familiariser avec ce que voulait dire une réduction du travail dans une entreprise…
Il était clair pour la CFDT à l’époque que la réduction du temps de travail ne pouvait pas se résumer à une simple baisse des horaires de manière abrupte. Pour que les 35 heures aient un réel impact sur l’emploi, il fallait des négociations sur l’organisation du travail et sur les conditions de travail. C’était l’opportunité d’améliorer à la fois la performance des entreprises et la qualité de vie au travail des salariés. Notre ambition se résumait dans notre slogan : « Travailler tous et vivre mieux. »
“La CFDT, qui était très préoccupée par le chômage, réfléchissait aux moyens d’aider les demandeurs d’emploi.”
Une période particulièrement enthousiasmante pour la CFDT…
C’était en effet une période très riche. Nous avons désigné au niveau national un spécialiste de la réduction du temps de travail – Gilbert Fournier –, qui était à la disposition de toutes les équipes CFDT engageant une négociation sur le sujet. On a aussi publié deux guides pratiques.
Et n’oublions pas qu’à l’époque, les PME [petites et moyennes entreprises], qui ne disposaient pas de représentants syndicaux, pouvaient faire appel à nous. Nous allions alors négocier la réduction du temps de travail aux côtés des salariés non syndiqués. Comme la CFDT était connue pour son expertise sur le sujet, nous étions beaucoup sollicités.
Pourquoi la CFDT est autant associée aux 35 heures ; pourquoi ce sujet est quasi identitaire pour l’organisation ?
Je pense que c’est parce que nous étions à l’origine de cette idée. La CFDT, qui était très préoccupée par le chômage, réfléchissait aux moyens d’aider les demandeurs d’emploi. Nous étions persuadés que notre responsabilité était de faciliter leur insertion dans le monde du travail. La réduction du temps de travail était pour nous un moyen d’y arriver. Les 35 heures sont ainsi devenues un étendard qui caractérisait la CFDT. Nous étions en première ligne. Les salariés se tournaient massivement vers nous lorsqu’ils devaient négocier.
“Depuis les années 2000, je n’ai jamais entendu un responsable du patronat demander que l’on revienne sur les 35 heures.”
À partir de 2000, les 35 heures s’appliquent pour tous et il n’est plus question de négocier l’organisation et les conditions de travail. Penses-tu qu’il aurait fallu donner plus de temps à la négociation ?
Au congrès de Montpellier [1995], un amendement est voté. Il dit que les 35 heures doivent être inscrites dans la loi. Nous étions donc partisans de laisser une grande place à la négociation, mais avec quand même un mandat précis quant à la nécessité d’une loi-cadre.
Fallait-il rallonger cette période ?On n’y était pas opposés, mais le gouvernement Jospin a fait un autre choix. Notre message était donc, à l’époque : « Dépêchez-vous d’entrer en négociation avant la date couperet. » Nous insistions sur la nécessité d’anticiper les discussions.
Quel regard portes-tu sur cette réforme ?
Depuis les années 2000, je n’ai jamais entendu un responsable du patronat demander que l’on revienne sur les 35 heures. Ils se sont aperçus que cela avait permis d’améliorer l’organisation du travail dans les entreprises. Pour les salariés, cette réforme va donner naissance au concept de RTT (réduction du temps de travail). Le sujet de la conciliation entre vie pro et perso va alors prendre de plus en plus d’importance. Les 35 heures, c’est un sujet « emploi » qui devient, dans un second temps, un sujet sociétal.
Que dire aux détracteurs des 35 heures qui ne cessent de répéter que le travail n’est pas un gâteau que l’on peut partager ?
La CFDT n’a jamais utilisé le terme « partage du temps de travail ». Parler de partage, c’est une manière pour certains détracteurs des 35 heures de laisser entendre que nous avions un côté naïf, généreux, mais hors des réalités économiques de l’entreprise. Or c’est tout le contraire. Nous avons toujours envisagé la réduction du temps de travail en tenant compte des contraintes des entreprises, avec l’idée que cela ne devait pas les pénaliser. Réduire le temps de travail peut à la fois être bénéfique pour les salariés et demandeurs d’emploi, et améliorer la productivité du travail.
Les 35 heures ont ainsi démontré la capacité des partenaires sociaux à mener des négociations dignes de ce nom. Je ne vois pas d’autres lois, depuis, qui aient apporté une telle transformation pour les entreprises et les salariés. Il s’est passé quelque chose à ce moment-là qui a concerné l’ensemble de la population active.
Et si c’était à refaire…
La CFDT n’a jamais regretté les 35 heures et, personnellement, je ne regrette absolument pas que ce thème ait été ce qu’il a été pour notre organisation. Il fait aujourd’hui partie de notre identité et il a permis de démontrer quel était le type de syndicalisme que nous voulions conduire. Un syndicalisme au plus près des réalités des entreprises. Dans la réussite des 35 heures, la négociation a joué son rôle, pleinement son rôle.
Deux lois qui feront date
Actuelle maire de Lille, Martine Aubry était ministre de l’Emploi sous le gouvernement Jospin. Son nom restera toujours associé à la mise en place des 35 heures avec deux lois : la loi dite Aubry I, adoptée le 13 juin 1998, et la loi Aubry II, adoptée le 19 janvier 2000. Explications.
Le passage de 39 à 35 heures soulève à l’époque une multitude de questions pratiques. Comment réduire le temps de travail sans renchérir son coût ? Comment faire en sorte que cette réduction du temps de travail provoque réellement des embauches ? Comment prendre en considération la spécificité des petites entreprises, qui n’ont souvent pas les mêmes marges de manœuvre ?
Les débats sont extrêmement tendus à l’époque, d’autant que le patronat s’oppose frontalement à cette mesure. Quand il devient certain que le gouvernement Jospin va passer par une loi générale pour réduire le temps de travail, en octobre 1997, Jean Gandois, le patron des patrons de l’époque, réputé ouvert au dialogue, crie à la trahison et démissionne de son poste pour laisser à son successeur, Ernest-Antoine Seillière, le soin de mener la fronde.
C’est dans ce climat politique explosif que le gouvernement fait voter une première loi. Celle-ci donne deux ans aux partenaires sociaux pour négocier ces fameuses 35 heures.
Ces derniers doivent non seulement négocier leur mise en place, entreprise par entreprise, mais aussi négocier les embauches à la clé. Afin de les inciter à jouer le jeu, l’État prévoit alors des allègements de charges en cas d’accord.
La deuxième loi, beaucoup plus contestée, car ne laissant que peu de marges de manœuvre aux partenaires sociaux, vient clore cette période de négociation.
Les 35 heures s’imposent progressivement à tous. Les petites entreprises (moins de 20 salariés) et le secteur public basculeront définitivement en 2002.
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