Extrait du magazine n°500
Le secteur de la sécurité privée n’attire plus. La pénurie de main-d’œuvre est d’autant plus criante que les besoins pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 sont importants. Une situation qui s’explique par des conditions de travail difficiles et un salaire peu attrayant. Des agents témoignent.
C’est l’un des métiers indispensables à la bonne tenue des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 : agent de sécurité. En effet, 22 000 agents seront nécessaires pour la bonne tenue de ces deux événements majeurs. Selon les pouvoirs publics, il faudrait que de 10 000 à 15 000 personnes rejoignent le secteur et soient formées d’ici à mai afin que les besoins soient pourvus. « Un véritable défi, a fortiori pour une profession souffrant d’un déficit d’attractivité », reconnaît le gouvernement dans un document budgétaire.
Si le métier souffre d’un manque d’attractivité, il n’est pas dépourvu de sens. Du moins selon Ignace Koukougnon, agent de sécurité depuis sept ans sur un site qui accueille des demandeurs d’asile. Il se sent utile dans son travail : « Oui, j’aime mon métier, nous sommes au service des autres, même si ça n’est pas toujours facile. Ce que je n’aime pas, c’est être confronté au mépris des uns et des autres, qui ne savent pas bien ce que l’on fait. »
Les quatre autres agents de sécurité présents à ses côtés dans les locaux du Syndicat francilien CFDT de la prévention et sécurité, en ce jour de décembre, acquiescent : « Nous portons assistance aux personnes, nous faisons de la surveillance, nous veillons à ce que les installations permettant de lutter contre les incendies fonctionnent », énumère Fouad Adam Atir, qui travaille dans un hôtel : « On est fier de notre métier et on y met de la volonté. Le public a toujours l’impression de voir l’agent qui ne fait rien, alors que nous faisons beaucoup pour protéger les biens et les personnes. »
“Lors de nos rondes, toutes les anomalies doivent être consignées, car s’il y a un accident et que l’anomalie n’a pas été notée quelque part, l’agent risque la prison.”
Vigilance et rigueur sont de mise car les risques encourus sont sérieux. «Lors de nos rondes, toutes les anomalies doivent être consignées, car s’il y a un accident et que l’anomalie n’a pas été notée quelque part, l’agent risque la prison.» L’agent se trouve également en première ligne face aux comportements violents : « Nous avons perdu plein de collègues. S’il y a un braquage, l’agent de sécurité est sans défense, il peut prendre une balle, un mauvais coup. Idem dans les supermarchés ; il est confronté à des injures, des menaces et quand il sort, on l’attend à la sortie pour lui faire la peau », ajoute Ignace.
Si tous ne se retrouvent pas confrontés à ce genre de situation, ils sont nombreux à subir des conditions de travail contraignantes. Les agents peuvent être postés à des endroits éloignés de leur domicile ou avoir des horaires atypiques : 41 % des agents travaillent de nuit. Kone Mediake est contrôleur de nuit, il rend visite à des équipes, qu’il gère seul : « Quand tu vas sur les sites, ça peut bien se passer avec les agents. Mais parfois non, parce qu’ils ont des problèmes personnels, parce qu’il y a un mécontentement particulier. Il faut pouvoir gérer. »
Un métier très encadré
L’exercice du métier est très encadré. Le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), rattaché au ministère de l’Intérieur, a une mission de contrôle de la profession et peut prononcer des sanctions. Il est aussi chargé de délivrer les cartes professionnelles, un document obligatoire pour travailler dans le secteur. Pour obtenir ce sésame, il faut avoir été formé et certifié. Le Cnaps consulte les éventuels antécédents judiciaires et le fichier des personnes recherchées.
Cette professionnalisation date d'une quinzaine d’années : « La carte a été créée en 2009, se rappelle Ahmed Boucetta, dans le métier depuis près de quarante ans. Avant, on se formait sur le terrain. Désormais, on a un cadre. » Des examens doivent être repassés à intervalles réguliers, pour rester à jour sur les connaissances et compétences.
Ahmed Bakhti travaille dans la sécurité aéroportuaire : « Par exemple, lorsqu’on est à l’imagerie des bagages aux rayons X, on a plusieurs heures d’entraînement à faire par an pour repérer les bagages piégés. Il faut obtenir 80 % de réussite. Plus généralement, dans l’aéroportuaire, il faut repasser toutes les certifications tous les trois ans. Si je ne les obtiens pas, je serai licencié. »
“Personne ne veut faire ce boulot avec autant de contraintes pour 1 400 euros. ”
Face à leurs responsabilités et aux exigences de formation, les cinq agents sont unanimes : « La moindre des choses serait que nous soyons bien payés. » Au sein de la branche, 70 % des salariés sont rémunérés selon les premiers échelons de la grille conventionnelle. Ceux-ci perçoivent entre 30 euros et 86 euros brut au-dessus du Smic depuis le 1er janvier et l’application de l’accord triennal sur les salaires conclu à l’automne 2023, signé par la CFDT. « Personne ne veut faire ce boulot avec autant de contraintes pour 1 400 euros. » Philippe Abjean, secrétaire général du syndicat, s’est joint à la rencontre.
Il explique la situation dans laquelle se trouve la branche : « Les entreprises de sécurité ont peu de marge car elles se tirent dans les pattes pour casser les prix et récupérer des contrats. Très peu de boîtes proposent des avantages autres que le minimum légal. Les donneurs d’ordre (les clients) profitent de la situation et ont aussi leur responsabilité en choisissant des entreprises moins-disantes. » Par ailleurs, « le Groupement des entreprises de sécurité [organisation patronale] a fait du blocage durant plusieurs années. Pendant ce temps, les plus bas échelons se sont fait rattraper par le Smic. Ça n’incite pas à évoluer ». Alors, les agents ont bien l’intention de « faire avancer leur métier » et comptent sur les Jeux olympiques et paralympiques pour faire bouger les lignes.
En 2021, la branche comptait 204 336 salariés, à 93 % des employés et à 86,6 % des hommes.
En 2019, 10 % des salariés de la branche ont connu une agression verbale dans l’année.
La CFDT est la deuxième organisation syndicale de la branche avec 21,03 % de représentativité, juste derrière la CGT (21,77 %) et devant FO (19,19 %).