Temps de lecture 5 min
Extrait de l'hebdo n°3961
Prévenir plutôt que guérir – une évidence… démentie par le mauvais bilan de santé des Français et le haut niveau de sinistralité au travail. Le Conseil économique, social et environnemental alerte sur l’absence de prévention, qui fait de la santé au travail le parent pauvre des politiques publiques.

« La santé n’est pas seulement l’affaire des médecins ou des hôpitaux mais de la société tout entière », déclarait le président du Cese, Thierry Beaudet, en introduction de l’événement organisé par la troisième assemblée le 8 avril dernier sur le thème de la prévention en santé. « La santé est dans la rue, dans les écoles et dans les lieux de travail. Investir dans la prévention n’est pas un coût mais une stratégie d’avenir », a-t-il martelé. Car le bilan de santé des Français n’est pas bon. Trois millions de Français souffriraient d’insuffisance cardiaque (deuxième cause de décès en France après le cancer), d’après le bulletin épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France, publié le 4 mars dernier. Il s’agit pourtant d’un mal « évitable » causé par quatre grandes activités commerciales délétères : tabac, alcool, industrie agroalimentaire et combustibles fossiles.
Une évolution des risques
S’y ajoutent les inégalités sociales et territoriales et la difficulté d’accéder aux soins, sans oublier les conditions de travail « qui usent les corps et les esprits », rappelle Sophie Thiéry, la présidente de la commission Travail et emploi du Cese à l’origine d’une nouvelle étude relative à la prévention en santé au travail : « La santé au travail est un véritable problème de santé publique mais la prévention dans notre pays est bien trop en retard, la prévention primaire surtout, celle qui consiste à agir à la source. » Or les risques évoluent. Les travailleurs doivent désormais s’adapter à des organisations de travail qui se complexifient (dématérialisation, télétravail, intelligence artificielle…) et aux effets du changement climatique, dont les impacts se font déjà sentir.
Stress, éco-anxiété ou encore fatigue informationnelle accélèrent la dégradation de la santé mentale, déclarée grande cause nationale en 2025. Plus de 10 000 affections psychiques ont été reconnues comme maladies professionnelles, selon les chiffres de l’Assurance maladie de 2024. Plus généralement, celle-ci recense 1 287 décès au travail en 2023, 555 803 accidents de travail et 47 434 maladies professionnelles…
Les angles morts de la prévention en santé
Tout plaide en faveur de la prévention mais, là encore, le sous-investissement des politiques publiques est éloquent. « Seulement trois à quatre millions d’euros par an sont consacrés à des campagnes de prévention en santé tandis que les fabricants de produits commerciaux peu recommandables (alcool, malbouffe…) investissent quelque 250 millions chaque année pour inciter à leur consommation », a détaillé Karine Gallopel-Morvan, professeure des universités à l’École des hautes études en santé publique.
De son côté, le Cese pointe trois angles morts dans le domaine de la santé au travail : les femmes (chez qui les accidents du travail ont augmenté de 41 % depuis vingt ans alors qu’ils ont baissé chez les hommes) ; les livreurs à vélo (dont les mauvaises conditions de travail ont récemment été répertoriées par l’Anses) ; les pratiques managériales, que l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) décrivait en des termes peu flatteurs dans sa dernière étude (de juin 2024).
Comment faire en sorte que le débat public s’empare de ce sujet ? En premier lieu, dit le Cese, « il faut renforcer et amplifier les formations en santé au travail et santé-environnement dans les études de médecine ». Et au sein des entreprises, il faut adopter une approche genrée de l’identification des risques professionnels, en les faisant figurer dans le Duerp1. Pour cela, l’accompagnement des employeurs dans leur démarche de prévention – particulièrement dans les TPE – doit être développé, comme cela était inscrit dans l’accord national interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020 relatif à la prévention. Enfin, le Cese préconise d’« inscrire le principe d’écoute des travailleurs et travailleuses parmi les principes généraux de prévention du code du travail » (voir l’article L4121-2) et de faire du dialogue social la clé de l’efficacité de la prévention dans un monde de l’entreprise encore trop vertical.