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Extrait de l’hebdo n°3907
Le dialogue social est-il à la hauteur des enjeux de santé au travail ? À la demande de la CFDT, une récente étude de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) a mesuré les effets délétères des ordonnances travail de 2017 sur les problématiques de santé et sécurité au travail.
1. Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
Intitulée « La santé au travail, grande perdante des ordonnances de 2017 », l’étude que l’Ires dévoile cette semaine dresse un constat sans appel concernant l’état dégradé du dialogue social relatif à cette question. L’impact de la mise en place des CSE sur le dialogue social en général avait déjà été mesuré par une précédente étude de l’Ires pour le compte de la CFDT, en janvier 2023. En matière de traitement des questions de santé et sécurité au travail (SST) dans les entreprises, cette nouvelle étude porte plus particulièrement sur l’efficacité du fonctionnement des instances représentatives du personnel après la disparition des CHSCT1. L’enquête s’est déroulée de mai 2022 à juin 2023 sur la base, notamment, d’entretiens avec une pluralité d’acteurs dont 29 élus CFDT provenant d’entreprises de tailles et de secteurs variés et titulaires de différents mandats.
Un bilan plutôt négatif
Sans surprise, les résultats sont globalement négatifs. En premier lieu parce que les CSSCT (commissions santé, sécurité et conditions de travail) n’ont pas remplacé partout les CHSCT là où ils existaient. Sauf accords d’entreprise ou cas particuliers, ces commissions sont facultatives dans les entreprises de 50 à 300 salariés, contrairement aux anciens CHSCT, qui étaient obligatoires passé le seuil des 50 salariés. La couverture globale des salariés par de telles commissions est alors passée de 74,6 % en 2017 à 46,4 % en 2019. En 2021, les CSSCT sont présentes dans 26,9 % des entreprises de 50 à 299 salariés – contre 53,1 % pour les CHSCT en 2017 (Dares, 2023).
Par ailleurs, le traitement des sujets de santé au travail par une instance unique n’est pas encore stabilisé. « La nouvelle articulation entre CSSCT et CSE semble difficile à trouver, développe Catherine Spieser, de l’Ires. Le temps consacré aux questions de santé au travail dans les réunions des instances a diminué. De plus, à cause de la baisse globale du nombre de mandats et d’heures de délégation, les activités et les pratiques des élus (visites d’ateliers et de services, analyses d’accidents, actions de communication…) ont tendance à reculer. Et avec la disparition des délégués du personnel, le lien avec les salariés ne se fait plus ou se fait plus rarement, les représentants de proximité n’étant pas présents partout. »
Moins d’expertises
L’étude pointe aussi qu’avec les nouvelles règles de dialogue social, les échanges en CSE portent sur des registres plutôt économiques et stratégiques, au détriment des questions de santé au travail. C’est, par exemple, un bilan des arrêts de travail et des accidents du travail qui se limite à un suivi purement statistique à partir de tableaux de chiffres ou de discussions qui se font sans aborder leurs conséquences sur la santé des salariés : plans de départs volontaires, déménagements ou réaménagements de locaux (passage en open space ou en flex office), etc. « Les élus témoignent de leur difficulté à aborder les questions de management et d’organisation du travail et déplorent une préférence pour des arrangements individuels plutôt que collectifs », notent également les chercheurs.
À cela s’ajoute une raréfaction des ressources externes (expertise, médecine du travail). Là où, auparavant, le CHSCT pouvait demander directement le recours à une expertise extérieure en matière de santé au travail, cette possibilité passe maintenant par le CSE avec de nouvelles règles de financement qui l’engagent sur ses ressources propres. Les élus avouent alors un moindre recours aux expertises SST qu’auparavant.
Pistes d’amélioration
Si l’enquête a également permis de mettre en lumière des actions syndicales qui produisent des avancées (suivi serré en faveur du maintien dans l’emploi de salariés inaptes à leur poste, mise en place d’espaces de discussion sur la qualité de vie au travail…), « c’est surtout la renégociation d’accords de dialogue social qui a permis, dans certaines entreprises, de consacrer plus de moyens à la santé au travail », conclut l’étude.
« Cette enquête constitue un argument supplémentaire en faveur de la révision des ordonnances de 2017, que réclame la CFDT, afin de redonner aux élus des moyens d’agir. Sachant que les enjeux de santé au travail sont considérables, en lien avec la question de l’usure professionnelle et le recul de l’âge de départ en retraite, la négociation “Pacte de la vie au travail” en cours peut aussi être une opportunité d’obtenir l’abaissement des seuils des CSST de 300 à 50 salariés et de reparler des représentants de proximité, estime Isabelle Mercier, secrétaire nationale. En objectivant les pratiques syndicales depuis 2017 en matière de santé au travail, l’étude permettra aussi de mieux outiller les équipes qui démarrent ce deuxième mandat sur la base de ces constats. »