RSA conditionné : un premier bilan et quatre alertes

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iconeExtrait de l’hebdo n°3940

Trois organisations du Pacte du pouvoir de vivre ont enquêté sur les conséquences de la mise en œuvre de la réforme du revenu de solidarité active (RSA). Elles tirent la sonnette d’alarme.

Par Claire Nillus— Publié le 05/11/2024 à 13h00

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Entériné par la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi, l’accès au RSA sera conditionné à partir du 1er janvier 2025 à un minimum de quinze à vingt heures hebdomadaires d’activité. Une enquête menée par le Secours catholique-Caritas France, ATD Quart Monde et AequitaZ tire un premier bilan, mitigé, de l’expérimentation lancée dans 18 départements au printemps 2023, rejoints par 29 autres en 2024, pour tester le dispositif. Les premiers enseignements de l’enquête ont été présentés lors d’un webinaire disponible, notamment, sur le site du Pacte du pouvoir de vivre.

« Nous disposons de retours d’expérience des volontaires entrés dans le processus et des agents de France Travail et des travailleurs sociaux qui les ont accompagnés, indique Sophie Rigard, du Secours catholique. Mais le bilan de cette expérimentation, présentée comme positive par le gouvernement, ne concerne que 28 000 allocataires sur 1,8 million en France. Par ailleurs, ce sont uniquement de nouveaux inscrits. Ceux qui sont au RSA depuis longtemps et qui ont le plus de difficultés n’étaient pas dans le panel. Surtout, il faut savoir que beaucoup de moyens ont été déployés pour cette expérimentation. » En l’occurrence, 20 millions en 2023 et 55 millions en 2024.

L’accompagnement, un critère essentiel

« Un conseiller pour 50 à 70 allocataires, c’est un ratio d’accompagnement bien meilleur que celui qui sera mis en place au 1er janvier 2025 puisque l’enveloppe qui devrait être allouée, en fonction du nombre total d’allocataires, est estimée, dans sa fourchette basse, à deux milliards d’euros », poursuit-elle. Difficile d’imaginer qu’une telle somme sera attribuée compte tenu des débats actuels au sujet du déficit budgétaire de la France. Or c’est la pierre angulaire de la réforme, le manque d’accompagnement ayant été dénoncé dans le dispositif précédent.

Les auteurs soulèvent un autre problème en rappelant que cette expérimentation a été massivement fléchée vers l’emploi : quid des personnes ayant besoin d’un accompagnement social, qui ont des problèmes familiaux ou des soucis de santé et qui représentent une part importante des allocataires du RSA ? À la veille de la généralisation de ce RSA conditionné et en marge d’une évaluation par le ministère prévue pour la fin de l’année seulement, les trois organisations ont émis quatre principales réserves et demandent la suspension de la réforme.

Un lien confus et trop ténu avec l’insertion

La première alerte porte sur le risque de glissement vers du travail gratuit, sans lien avec une insertion dans l’emploi. Car si le texte de loi évoque de quinze à vingt heures d’activité « adaptables à la situation de la personne » et « utiles à l’insertion professionnelle », son interprétation pose question. « Ainsi, dans l’Eure, une petite commune a fait végétaliser son cimetière communal par une cohorte d’allocataires… sans aucune perspective d’embauche derrière », constate Sophie Rigard.

Les organisations alertent également sur l’efficacité d’un « accompagnement sous algorithme » tel qu’il est prévu en 2025. L’orientation automatique sur la base de données administratives engendre un risque accru pour les allocataires d’être envoyés au mauvais endroit sans avoir leur mot à dire. « Nous avons recueilli énormément de témoignages de personnes qui ne comprennent pas ce qui a été décidé pour elles. Mais la peur de se voir sanctionner les empêche de dire à leur conseiller que cela ne leur convient pas ou qu’elles ne sont pas en immersion dans le bon secteur », explique Marion Ducasse, d’Aequitaz.

Troisième alerte : « La mécanique des radiations s’accélère. » Si les exigences augmentent, beaucoup de personnes vont perdre confiance et décrocher parce qu’elles n’entreront pas dans les cases, disent les associations. Ce qui interpelle, c’est le taux de non-réponse – près de 50 % – aux convocations envoyées aux allocataires, leur demandant s’ils souhaitent participer à l’expérimentation. « Parce que leur vie est déjà trop compliquée, ils ne se sentent pas en capacité de répondre », observe Marion Ducasse. L’augmentation du non-recours volontaire constitue une preuve supplémentaire puisque, dans les départements qui expérimentent la réforme, celui-ci a augmenté de presque 11 % en un an.

La réalité contrastée du retour à l’emploi

Enfin, il y a de quoi s’interroger sur l’indicateur de « succès » de cette expérimentation, mesuré au nombre de sorties du RSA. Ces sorties sont-elles réellement la preuve d’un retour vers l’emploi durable ? Si oui, pour quel type d’emploi et à quelles conditions ? Le marché du travail peut-il accueillir dignement toutes les personnes ?

« Sur le terrain, malgré la multiplication des stages et des immersions, nous constatons les difficultés des personnes à trouver des entreprises volontaires qui les accueillent. En Mayenne, les sorties du RSA ont correspondu à 41 contrats de moins de six mois et seulement deux CDI. Et à l’échelle nationale, le taux de retour à l’emploi durable (contrats de plus de six mois et CDI) n’est que de 17 % », détaille Sophie Rigard. « Ne va-t-on pas créer une nouvelle boucle de précarité, dans laquelle on enchaîne emplois de subsistance et minima sociaux ? »

À propos de l'auteur

Claire Nillus
Journaliste

Engagées de longue date en faveur du droit pour toutes et tous à obtenir des moyens convenables d’existence, tel qu’il est inscrit dans notre Constitution, ces organisations du Pacte du pouvoir de vivre demandent au gouvernement qu’il tienne compte de ces alertes et organise les moyens de réelles évaluation et concertation avec elles. Elles vont poursuivre leurs travaux afin de continuer à documenter les effets du RSA conditionné et entamer un dialogue avec les départements. Objectif : trouver avec eux d’autres pistes afin de sortir les gens de la précarité.