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Extrait de l'hebdo n°3958
Le 21 mars, à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, les organisations syndicales ont conjointement lancé une grande campagne de sensibilisation et d’action à destination des travailleurs. Cinq affiches et un tract seront largement diffusés sur les lieux de travail. Dans le même temps, la CFDT lance son réseau de militants “pour la démocratie et contre l’extrême droite”.

« Il s’agit d’outils communs que nous avons produit ensemble avec deux objectifs : provoquer des échanges sur les lieux de travail et permettre aux victimes de sortir du silence. Mais aussi leur dire que les organisations syndicales sont là pour les écouter, les accompagner et faire en sorte que leurs droits soient respectés », résumait la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, lors d’une conférence-débat organisée le 21 mars à la Bourse du travail de Paris. Par cette initiative commune, huit organisations syndicales (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, FSU, Solidaires) et la Défenseure des droits, Claire Hédon, ont officiellement lancé la campagne de sensibilisation contre les discriminations raciales au travail. Avec un intitulé on ne peut plus clair : « Racisme, antisémitisme, xénophobie au travail : C’EST NON ! ».
Observer les chiffres, assez terrifiants, aide à illustrer cette triste réalité : plus de 16 000 atteintes à caractère raciste, xénophobe ou antireligieux ont été enregistrées en 2024 – avec une augmentation de 11 % des crimes et délits de cette nature par rapport à 2023, selon les dernières données du ministère de l’Intérieur. « Ces augmentations s’inscrivent d’ailleurs dans une tendance continue depuis 2016 (hausse moyenne annuelle de 8 % des infractions à caractère raciste enregistrées) », alerte-t-il.

Des actes en hausse, des recours en baisse
Au travail, le constat est identique. Le 17e Baromètre des discriminations dans l’emploi, coréalisé par la Défenseure des droits et l’Organisation internationale du travail (OIT), publié en décembre 2024, rapporte que 17 % de la population active a vécu au cours de l’année écoulée une discrimination ou un harcèlement discriminatoire dans l’emploi en raison de son origine, sa nationalité ou sa couleur de peau… Et 18 % en raison de sa religion (contre 7 % en 2023). « Les discours de haine et les discriminations forment un continuum, alerte d’ailleurs Claire Hédon. L’an dernier, au moment des élections législatives, nous avons connu un pic d’appels de notre Numéro vert, 3928, entre mai et juin. Pourtant, les recours juridiques ou devant l’institution du Défenseur des droits sont très rares. Les saisines pour discriminations sont même en baisse pour nous en 2024. »
Pourquoi ce non-recours ? La première raison, c’est le fatalisme. Les personnes se demandent à quoi ça va servir. La seconde, c’est la crainte d’éventuelles représailles. « Face à cela, les organisations syndicales ont un rôle important d’accueil et d’accompagnement des victimes à jouer, de négociation d’accords collectifs, d’exercice du droit d’alerte et d’actions en justice au nom des victimes », poursuit la Défenseure des droits.
La lutte contre le racisme au travail, mission syndicale
Derrière les chiffres fournis par la Défenseure des droits, ce sont des personnes, des travailleurs empêchés, blessés, qui subissent des brimades, des violences verbales ou physiques. « Du point de vue social, ce sont à la fois des talents contraints ou perdus, la santé qui est minée, et des équipes divisées et clivées qui sont mis en évidence. Du point de vue économique, ce sont une moindre créativité, des blocages, des arrêts de travail qui sont relevés, parce que la confiance est laminée. La campagne que nous lançons rappelle que la lutte contre le racisme au travail fait partie des missions syndicales, affirme Marylise Léon. Dans le contexte actuel, elle résonne également avec notre priorité consistant à lutter contre les idées d’extrême droite, à tous les niveaux et par tous les moyens : défendre le travail comme espace d’égalité et d’inclusion, quelles que soient l’origine et la nationalité, est plus que jamais d’actualité. C’est l’objet d’une matinée comme celle-ci, où, de manière inédite, tous les syndicats de travailleurs de France disent ensemble stop aux discriminations et à la haine. »
Mise en place du réseau LED
En parallèle, et afin de se donner les moyens d’agir, la Confédération a créé son réseau de militants LED (Lutte contre l’extrême droite), dont la première réunion s’est tenue le 18 mars à Paris. Conçu à l’image du réseau des Sentinelles vertes sur les sujets de transition écologique, ce réseau regroupe pour l’instant au moins deux représentants de chaque fédération et union régionale interprofessionnelle CFDT. Ce « groupe ressource » doit permettre de « construire une dynamique, favoriser la circulation d’informations entre les différentes orgas et identifier les bonnes pratiques, précise Olivier Guivarch, secrétaire national chargé du dossier. C’est une urgence démocratique pour notre organisation ! »
À entendre les témoignages de la cinquantaine de militants présents le 21 mars, outiller les équipes est une nécessité, tant sur le terrain l’influence croissante des idées d’extrême droite est patente. « Certains de nos adhérents disent ne pas voir de problème à voter RN tout en étant à la CFDT, a ainsi rapporté un participant. Pour eux, le vote RN est assumé. »
“Un sujet difficile à aborder en section”
Que ce soit chez les cheminots, les douaniers, dans les fonctions publiques, la santé ou le secteur agricole (la Coordination rurale a renforcé sa présence dans les chambres d’agriculture à l’issue des élections de janvier 2025), des militants notent « une parole de plus en plus décomplexée ». « Dans les salles des profs ou des maîtres, on ne discute plus des sujets qui fâchent ; on préfère laisser passer. D’un côté, la parole se libère ; de l’autre, on se tait, on n’ose pas contrer », déplore Alexis Torchet, secrétaire fédéral de la CFDT Éducation Formation Recherche publiques (ex-Sgen). « Comment parler de cela sans se mettre sur la figure ? C’est un sujet de plus en plus difficile à aborder en section », confirme un représentant du secteur de la santé. Nombreux sont les militants présents à être en attente de méthodes, d’outils. « Il ne suffit plus de dire : “Voter RN, c’est mal”. » Cette approche morale et culpabilisante, à l’épreuve des faits, beaucoup de militants l’ont jugée contre-productive.
Mutualiser les pratiques
Heureusement, les militants des différents syndicats, et particulièrement à la CFDT, ne partent pas d’une page blanche. Dans les différentes structures, de nombreuses actions se sont déjà produites : des débats, formations, interventions de spécialistes, etc. La CFDT d’Île-de-France a créé son réseau de militants LED et a fait venir des spécialistes qui ont pu témoigner. De son côté, la CFDT EFRP organisait un débat ce 25 mars. Il faut donc désormais mutualiser les différentes pratiques et construire des outils communs. Ce sera l’objet des prochaines réunions…