Temps de lecture 5 min
Extrait de l’hebdo n°3941
La réélection de Donald Trump aux États-Unis témoigne avec violence des menaces qui pèsent sur nos démocraties, nos libertés et sur les droits des travailleurs. Afin d’endiguer la vague d’extrême droite, l’Union européenne doit agir pour plus de justice sociale et économique. Entretien avec Béatrice Lestic, secrétaire nationale de la CFDT chargée de l’international.
Les urnes ont rendu leur verdict ce 5 novembre. Le candidat républicain Donald Trump est de retour à la tête de la première puissance mondiale. Quelle analyse en tires-tu ?
C’est une journée noire pour la démocratie. C’est aussi une journée noire pour les droits des femmes, des personnes LGBT, la justice… Malheureusement, c’est une victoire écrasante, une victoire populaire, y compris quand on observe les résultats du vote chez les minorités. Nous constatons que les classes moyennes et populaires (qui ont vu ces dernières années leur niveau de vie stagner ou baisser) se rabattent sur un modèle « traditionnel » et conservateur – un modèle qu’ils estiment, à tort, plus protecteur. Cela doit nous questionner sur les réponses à apporter. C’est aussi une journée noire pour les travailleurs. Donald Trump a toujours agi en faveur des ultras riches, et ça ne changera pas. Le mouvement syndical américain n’a d’ailleurs jamais pensé que Trump pouvait lui être favorable.
Donald Trump pourrait aussi remporter le Sénat et la Chambre des représentants…
1. Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.
Il aurait alors toutes les clés en main pour appliquer son programme d’extrême droite et saper la démocratie et les libertés individuelles. Il faut rappeler qu’il contrôle déjà la Cour suprême. Il faut ajouter à cela le soutien que lui apportent les Gafam1, les grandes multinationales du numérique, à l’image d’Elon Musk, le propriétaire de X (ex-Twitter), qui ont largement contribué à son succès. Le Président des États-Unis leur permettra de continuer à agir sans aucun contrôle ni aucune contrainte.
Cette élection est-elle aussi une leçon pour l’Union européenne ?
La stratégie de la peur mise en œuvre par Donald Trump a fonctionné : peur de l’avenir, peur de l’étranger, peur du déclassement. C’est cette même stratégie que l’extrême droite applique actuellement en France et au sein de l’Union européenne. La victoire de Trump va renforcer ceux qui, en Europe, prônent la radicalité. On le voit bien, ceux qui se félicitent de cette victoire en Europe sont ceux qui partagent ses valeurs rétrogrades, qui prônent la préférence nationale : Georgia Meloni en Italie, Viktor Orbán en Hongrie, le Rassemblement national en France. Il est primordial que l’Union européenne ne cède pas à la peur, aux pressions et aux revendications que portent les mouvements d'extrême droite. Leur céder, c’est légitimer leurs idées, c’est les faire gagner.
Quelles réponses peut apporter l’Union européenne ?
Il y a urgence à reconstruire le modèle économique et social, dont les dérives produisent ces inquiétudes. Il faut répondre par plus d’égalité et par plus de justice sociale et fiscale. Ne pas le faire, c’est se tromper de sujet et courir à la catastrophe : si l’Union européenne ne relève pas les défis qui nous font face, la vague d’extrême droite sera difficile voire impossible à stopper. On voit bien d’ailleurs que le pouvoir d’achat, qui est une priorité pour les Européens, a aussi été au cœur de la campagne électorale américaine. Et peu importe, d’ailleurs, que Trump et ses homologues de l’extrême droite européenne n’aient aucune solution, il leur suffit de désigner des boucs émissaires.
L’Union européenne doit enfin profiter de cette élection pour se positionner comme la grande puissance qu’elle est. Elle ne peut plus compter que sur elle-même. Dans le cas contraire, elle se mettra hors-jeu. La Russie, la Chine et maintenant les États-Unis nous regardent avec condescendance. Il faut donc se mettre d’accord sur une politique industrielle commune, sur des investissements ambitieux dans les transitions écologique et numérique. Tout cela, l’Union européenne doit le faire en tenant compte des inquiétudes et intérêts des citoyens européens. Une politique de défense commune est plus que jamais nécessaire. Si Trump cesse de soutenir l’Ukraine, comme il l’a déjà laissé entendre, la « paix » qu’il a promise ne sera rien d’autre qu’une reddition de l’Ukraine, avec des conséquences en matière de sécurité à l’intérieur de l’espace européen.