Reprise de Metex : quand le syndicalisme joue collectif

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iconeExtrait de l’hebdo n°3923

Pendant des mois, toute la CFDT s’est mobilisée pour sauver l’usine Metex d’Amiens – de la section syndicale à la Fédération Chimie-Énergie en passant par le syndicat, l’Union régionale et la Confédération. C’est chose faite à présent. Le groupe Avril vient de déposer une offre de reprise qui sauvegarde les emplois et l’activité.

Par Jérôme Citron— Publié le 11/06/2024 à 12h00

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© Syndheb

C’est une belle victoire comme on aimerait en voir plus souvent. Sauf coup de théâtre de dernière minute, l’usine Metex est aujourd’hui sauvée. Le 3 juin, le groupe Avril a déposé son offre de reprise. Une offre sérieuse sur le plan industriel, une offre qui prévoit la reprise de l’ensemble des salariés (seuls cinq postes sur 283 sont sur la sellette) et une offre qui permet aux salariés de considérer l’avenir avec sérénité. Ce dénouement heureux récompense en tout premier lieu les élus du personnel CFDT, qui sont parvenus à déplacer des montagnes pour parvenir à leurs fins.

Un tel résultat était loin d’être gagné. Rachetée par une start-up au groupe japonais Ajinomoto en 2021, Metex est à l’époque une usine qui se porte bien. C’est notamment la dernière usine en Europe à produire de la lysine, un acide aminé essentiel utilisé dans la nourriture animale et qui entre dans la composition de certains médicaments bien connus (ibuprofène, Aspégic, etc.). Pourtant, ce site industriel de pointe va connaître une rapide descente aux enfers. À cause de la guerre en Ukraine, les coûts de l’énergie explosent, tout comme explose en Europe le prix du sucre (qui sert à fabriquer la lysine) : il passe de 300 euros la tonne à 1 000 euros (autour de 800 euros aujourd’hui).

La redoutable concurrence de la Chine

La Chine en profite alors pour inonder le monde de lysine à bas coût. L’empire du Milieu a accès à un sucre moins cher et peut exporter la lysine sans barrières douanières. « L’Europe a protégé l’industrie sucrière en mettant des droits de douane mais elle n’a pas prévu de protéger la fabrication des acides aminés à base de sucre. Or, pour faire un kilo de lysine, il faut un kilo et demi de sucre », résume Samir Benyahya, délégué syndical CFDT. À ce problème de concurrence déloyale s’ajoute celui d’un repreneur qui s’avère manifestement plus chercheur dans l’âme que véritable industriel…

Résultat, les ennuis commencent dès la fin 2022. La CFDT, archi-majoritaire sur le site (à l’époque autour de 80 % puis de 60 % avec l’arrivée de la CFE-CGC, qui remporte de siège du collège cadres), comprend rapidement qu’il est nécessaire d’alerter les pouvoirs publics au sujet de la situation pour ne pas aller droit dans le mur. C’est là que le réseau CFDT prend tout son sens. La section en parle à son syndicat, lequel alerte la Fédération Chimie-Énergie (FCE) et l’Union régionale interprofessionnelle des Hauts-de-France.

L’ensemble de la CFDT s’est mobilisée…

Toutes les structures vont travailler de concert pour sensibiliser les personnalités politiques locales et nationales, médiatiser le dossier, obtenir des rendez-vous à Bercy, faire en sorte que le ministre se déplace et prenne des engagements… Marylise Léon sera également de la partie puisqu’elle s’est rendue sur place afin de soutenir les salariés et a relayé en haut lieu les alertes de la section. Bref, toute la CFDT se mobilise pour que ce dossier reste en haut de la pile des priorités gouvernementales. Tous les leviers du syndicalisme sont actionnés : du rassemblement devant l’usine, visant à faire venir la presse et les élus locaux, au coup de téléphone du soir pour faire avancer le dossier ou lever certains irritants. La direction de l’entreprise apprend d’ailleurs à travailler avec les élus des syndicats. « En mars 2023, lorsque nous avons fait comprendre à la direction que nous pouvions activer nos réseaux européens et étudier en profondeur les ressorts du dumping chinois, elle ne nous a pas pris au sérieux, se rappelle Bruno Bouchard, de la FCE. Elle s’est ensuite rendu compte que nous avions un rôle à jouer, qu’elle pouvait s’appuyer sur nous. »

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Très vite, cette stratégie paie. Les politiques vont s’emparer du dossier. Le symbole est, il est vrai, très fort. Admettre l’arrêt de l’usine signifierait en quelque sorte accepter une nouvelle perte de souveraineté industrielle en Europe… au moment même où la dépendance vis-à-vis de la Chine ne cesse d’être dénoncée. Sauver Metex devient un défi pour les politiques de tous bords. Une sorte d’union sacrée. Les principales têtes d’affiche aux élections européennes viendront d’ailleurs sur place apporter leur soutien.

… Et les obstacles, au fur et à mesure, ont été levés

Peu à peu, les obstacles à la reprise de l’usine par le groupe Avril vont être levés. L’État négocie avec les sucriers un tarif raisonnable, la Région s’engage à prendre en charge une partie de la dépollution du site si nécessaire, l’Europe lance enfin son enquête pour dumping… On ne connaît pas encore tous les détails de l’accord mais, après en avoir repoussé la date, le groupe Avril finit par déposer une offre sérieuse, le 3 juin. « On a sauvé l’usine et l’emploi de tous les ouvriers », annonce fièrement Samir. « Je suis entré dans cette entreprise il y a vingt ans. C’était mon premier emploi, et j’espère bien que ce sera le dernier ! », insiste ce militant qui a su naviguer avec ses collègues de la section comme un professionnel entre les députés, les sénateurs, les présidents de Région et les ministres pour obtenir gain de cause.

1. Recherche et développement.

À propos de l'auteur

Jérôme Citron
rédacteur en chef adjoint de CFDT Magazine

Seul point noir, la R&D1 de Metex, située à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme / Auvergne-Rhône-Alpes), ne fera pas l’objet d’une reprise intégrale. Le groupe Avril annonce ne vouloir conserver que 30 emplois sur 88. Samir et ses collègues souhaitent encore faire bouger ce curseur, mais plusieurs personnes risquent de se retrouver sur le carreau. Au départ, le groupe Avril – qui dispose déjà d’un département R&D – ne souhaitait reprendre que l’usine. Les premières discussions ont déjà permis une petite évolution, et d’autres pourraient suivre. La CFDT ne compte évidemment pas s’arrêter en si bon chemin…