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Une crise… et des innovations
En l’espace de quelques mois, le marché du logement s’est grippé. La hausse des taux d’intérêts et la paralysie du secteur du bâtiment ont accentué une pénurie de logements déjà existante. Le retour à la normale n’est pas pour tout de suite.

Pour comprendre la dégradation de la situation du logement, il suffit d’observer les chiffres. À la fin de 2024, le nombre de ménages ayant déposé une demande de logement social se rapproche dangereusement des 3 millions, contre 2,1 millions en 2020. Un chiffre en lien direct avec l’augmentation de la pauvreté dans notre pays, ces dernières années.
Or, depuis 2016, le nombre de logements sociaux attribués ne fait que diminuer. Du côté de la construction, la France est passée de 410 000 chantiers en 2021 (appartements et maisons confondus) à 263 000 en 2024, ce qui laisse craindre des destructions d’emplois dans le secteur du BTP. Enfin, les transactions immobilières, elles aussi, ont connu une chute en quelques années seulement, passant de 1,2 million entre 2020 et 2021 à 780 000 transactions entre 2023 et 2024.
“Les signaux sont au rouge”
Que s’est-il passé ? En 2022, en raison de l’inflation liée à la guerre en Ukraine, les taux d’intérêt des crédits immobiliers ont quasiment quadruplé en un an, et la mécanique du secteur s’est enrayée. « Pendant des années, l’accession à la propriété a été possible, soutenue par les taux bas qui pouvaient compenser la hausse des prix », explique Odile Dubois-Joye, géographe et urbaniste, directrice des études de l’Agence nationale pour l’information sur le logement (Anil). « La hausse subite des taux d’intérêt a réduit la capacité d’emprunt. Des ménages ont renoncé à leur achat car les prix sont désormais trop élevés. Ils n’ont donc pas libéré leur logement locatif privé ou public. Avec l’effondrement de la construction neuve, alimentée par l’inflation des coûts de construction, les signaux sont au rouge. Tout est lié. Nous sommes face à une pénurie d’offres. Le parcours résidentiel* est bloqué. »
Construction à flux tendu
Selon Guillaume Chapelle, professeur d’économie à CY Cergy Paris Université, les difficultés sont aussi liées à une mauvaise optimisation du parc de logements. « Les ménages propriétaires et les locataires sociaux, notamment, restent très longtemps dans leur logement, même si celui-ci n’est plus adapté à leurs besoins. Par exemple, une personne âgée seule qui se retrouve seule dans un T4… »
Ce phénomène dit de mésappariement1s’explique par « le droit de maintien dans les lieux du logement social, qui commence à être remis en cause. Du côté du parc privé, c’est un problème fiscal, avec une fiscalité des mutations forte et une fiscalité du patrimoine faible », explique Guillaume Chapelle, qui ajoute : « Le mésappariement est accentué par le manque de production de logements neufs, notamment dans les zones les plus demandées. Et, en France, si l’on a pu considérer que l’on produisait beaucoup, ça reste finalement peu. La preuve, c’est que les logements mis en chantier avant le coup d’arrêt ont tous été écoulés. »
“Sans logement, on ne peut rien faire : on ne peut pas se soigner, on ne peut pas travailler. Sans logement, on n’existe pas. ”
Une politique publique malmenée
Face à ces difficultés, les politiques publiques en matière de logement n’ont pas aidé. L’exécutif a ainsi prélevé plus de 10 milliards d’euros sur Action Logement (lire l'encadré ci-dessous) depuis 2017 et diminué sa participation au Fonds national des aides à la pierre, qui subventionne la construction de logements sociaux. Le dispositif Pinel – destiné à favoriser l’investissement locatif de particuliers contre des ristournes fiscales – a été supprimé sans être remplacé. Le prêt à taux zéro (PTZ), visant à soutenir l’accession à la propriété des ménages modestes, a vu son périmètre réduit… Sans oublier le coup de rabot de 5 euros sur l’aide personnalisée au logement (APL) pour les locataires en 2018 ou la suppression des APL accession, censées aider les plus modestes à acheter leur résidence principale.
Même le Conseil national de la refondation « logement », lancé en novembre 2022 par Emmanuel Macron, n’a pas permis d’avancer. Aucune des propositions – un plan pour loger et accompagner les plus fragiles, un encadrement des prix du foncier en zone tendue, une réforme de la fiscalité sur les terrains à bâtir… – n’a été retenue. « Aujourd’hui, il n’y a pas de politique du logement », estime Catherine Sabbah, déléguée générale de l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement (Idheal) et l’une des pilotes du CNR logement. « À l’Idheal, nous considérons que le logement touche tout le monde et qu’il devrait être de la plus haute importance pour les responsables locaux et nationaux. Ce devrait être la première des politiques publiques. Car sans logement, on ne peut rien faire : on ne peut pas se soigner, on ne peut pas travailler. Sans logement, on n’existe pas. »
Action Logement, quèsaco ?
Face à la pénurie de logements, l’État et les partenaires sociaux créent en 1953 le 1 % logement afin de permettre aux salariés d’être logés dans de meilleures conditions. Rebaptisé Action Logement, l’organisme finance le logement des salariés à revenus modestes grâce à la collecte d’une participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC) fixée à 0,45 % de la masse salariale des entreprises de plus de 50 salariés. En 2024, Action Logement a ainsi accompagné 780 000 salariés dans leurs parcours résidentiels.