“Il faut déconstruire les peurs attachées au logement social”

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Une crise… et des innovations

Jules-Mathieu Meunier est chercheur spécialiste de la question du logement des salariés.

Par Anne-Sophie BallePublié le 01/03/2025 à 09h00

Jules-Mathieu Meunier est chercheur spécialiste
de la question du logement des salariés.
Jules-Mathieu Meunier est chercheur spécialiste de la question du logement des salariés.© DR

Comment analysez-vous l’évolution de l’engagement des entreprises sur le logement des salariés au cours des dernières décennies ?

L’intervention patronale dans le domaine du logement s’est longtemps limitée à certaines franges de l’industrie (textile, mines, sidérurgie), selon une approche paternaliste qui prêtait aux employeurs un rôle dans l’aménagement des conditions de vie des ouvriers.
Puis on a observé un désengagement progressif des employeurs. La création du 1 % logement1constitue un tournant dans l’externalisation de la question du logement hors de l’entreprise.

Qu’en est-il du côté de la prise en charge syndicale ?

Les enquêtes sur le sujet montrent que le logement peine à figurer au cœur de l’action syndicale. Plusieurs raisons l’expliquent : le recentrage dans les années 70 de l’agenda revendicatif autour des questions d’emploi, en décalage avec le poids du logement dans le budget.

Le manque d’identification des élus d’entreprise comme des interlocuteurs sur la question du logement pèse également, alors même que leur présence à la tête d’Action Logement confère aux organisations syndicales un levier d’intervention et une reconnaissance institutionnelle sur le sujet.

Les salariés connaissent-ils leurs droits ?

Clairement, non. C’est là l’une des conséquences du tournant dit néolibéral pris par les pouvoirs publics, qui ont recentré l’aide au logement sur les personnes les plus défavorisées. Aujourd’hui, les travailleurs ne se sentent pas toujours légitimes à demander un logement social, comme s’ils avaient intégré que celui-ci était réservé aux plus démunis. Mais si l’on regarde les plafonds de ressources, plus de la moitié des ménages est aujourd’hui éligible au parc social.

Et le logement social n’a parfois pas bonne presse…

Certains élus peinent à voir le logement social autrement que comme un risque d’attirer des « pauvres » sur leur territoire. Pour d’autres, il s’agit d’un ingrédient de leur politique sociale mais aussi d’un moteur du développement économique local. Cette seconde approche suppose de déconstruire les peurs attachées au logement social et de le voir comme un instrument de la sécurisation des parcours résidentiels et professionnels.

Du côté des employeurs, le logement est apparu, à tort ou à raison, comme un levier d’action pour répondre à un problème d’attractivité de plusieurs secteurs d’activité.

Pourquoi à tort ou à raison ?

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

Parce que le problème d’attractivité ne se résume pas au logement et renvoie à d’autres dimensions que sont les conditions de travail ou les rémunérations. De plus, cette focalisation tend à s’accompagner d’une remise en cause du modèle d’intervention conçu après-guerre. Aujourd’hui, certains employeurs publics demandent la possibilité de financer une offre de logement aidé comportant une clause de fonction, c’est-à-dire renouant avec le modèle du logement patronal loué comme accessoire au contrat de travail.

Mais quid de la sécurisation du parcours résidentiel des travailleurs qui accèdent à cette nouvelle offre, où le maintien dans le logement est conditionné à la permanence du contrat de travail ? C’est là tout l’enjeu : le logement doit-il être vu comme un simple filet de sécurité, comme un outil au service exclusif de l’économie ou comme un élément à part entière de la protection sociale ? Dans cette troisième perspective, le logement social constitue l’un des piliers de notre État social, et il importe de le promouvoir comme tel.