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Une Europe en mutation
Annoncé en 2019, le Green Deal ou Pacte vert a marqué un véritable tournant dans la politique européenne pour répondre à l’urgence climatique. S’il a permis de réelles avancées, il n’a pas tenu toutes ses promesses et semble de plus en plus fragilisé. Son avenir est en grande partie suspendu aux résultats des prochaines élections.
Le Pacte vert européen survivra-t-il aux prochaines élections ? La formule peut paraître exagérée. Mais il est raisonnable de s’en inquiéter. Souvenons-nous : ce Green Deal, annoncé en 2019 par Ursula von der Leyen, tout juste nommée présidente de la Commission européenne, est à l’époque salué de manière unanime comme « historique ».
Il fixe des objectifs ambitieux : un horizon de neutralité carbone à atteindre en 2050, avec une cible intermédiaire de moins 55 % d’émissions de gaz à effet de serre en 2030 (par rapport aux mesures de 1990). Et, pour ce faire, il engage un vaste programme législatif, le fameux Fit for 55, soit une quinzaine de lois et règlements portant sur une variété de sujets comme la fin des moteurs thermiques, les énergies renouvelables, la biodiversité, etc.
«C’était la première fois que l’Union européenne annonçait autant pour le climat. Même si cela reste en deçà de ce que demande la science pour contenir le réchauffement climatique en dessous des 1,5 °C», explique Caroline François-Marsal, responsable Europe au Réseau Action Climat.
« Avec le Pacte vert, l’Europe s’est positionnée comme un laboratoire de la transition », souligne Nicolas Berghmans, responsable Europe et expert énergie et climat à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
Sur cette mandature (2019-2024), plusieurs textes significatifs ont été adoptés, fixant des caps importants : la fin de la vente des moteurs thermiques d’ici à 2035, le doublement du déploiement des énergies renouvelables d’ici à 2030, la décision de flécher 40 % des budgets du plan de relance de 750 milliards d’euros à des prêts et des subventions concernant le climat et la biodiversité, ou la taxe carbone aux frontières.
Le Green Deal est considéré, par les partis conservateurs et identitaires au premier chef, comme trop contraignant.
Échec sur le plan agricole et la biodiversité
Pour autant, le programme de Fit for 55 est loin d’avoir été accompli en totalité : plusieurs textes importants (et très attendus !), comme celui portant sur la réduction des pesticides, l’usage des produits chimiques (Reach) ou le projet de loi sur la restauration de la nature, ont fait l’objet d’oppositions très nettes au Parlement et n’ont pas été adoptés.
La réglementation sur la déforestation importée, jugée très innovante – «parce que pour la première fois, on s’attaque aux émissions importées», comme le souligne Caroline François-Marsal –, est pour l’instant suspendue, à la demande de plusieurs États dont la France.
Sans compter les récents assouplissements des critères de la PAC, décidés pour répondre à la colère du monde agricole, «qui détricotent son ambition environnementale», selon Anne-Juliette Lecourt, responsable du dossier « Transition écologique juste » à la CFDT. «Du point de vue de la transition agricole et de la biodiversité, il faut reconnaître que le Pacte vert a été un échec», ajoute Nicolas Berghmans, de l’Iddri, faisant écho au diagnostic partagé par de nombreux experts.
Seconde étape
Et maintenant ? «Si le Pacte vert a constitué une boussole énergétique depuis 2019, nous entrons maintenant dans une seconde phase : celle de la mise en œuvre concrète dans tous les États membres de l’Union», indique Camille Defard, cheffe du centre Énergie de l’Institut Jacques Delors.
Et là, clairement, cela risque de coincer. D’abord parce que dans de nombreux pays de l’UE, le Green Deal n’est plus perçu positivement. Il est considéré, par les partis conservateurs et identitaires au premier chef, comme la cause de multiples difficultés : trop de contraintes, trop de normes… Cela s’est largement illustré lors de la crise agricole de ces derniers mois, en France et en Europe. Un mouvement général d’appel à une « pause législative » s’est fait jour. « Il existe un risque réel de backlash [contrecoup] politique et social, indique Camille Defard. L’un des plus gros enjeux pour la prochaine mandature va se jouer autour de l’acceptabilité sociale. » Sur ce point, la chercheuse pointe le risque que « certains partis, climatosceptiques, cherchent à instrumentaliser le Green Deal, pour bloquer ou réduire les ambitions vertes du pacte ».
Quels financements ?
“Il faudrait 813 milliards d’euros par an, soit 5,1 % du PIB européen, pour les seuls secteurs transport, énergie et bâtiment.”
L’autre gros point d’interrogation – et surtout d’inquiétudes – pour la prochaine mandature reste les capacités de financement en faveur de cette transition écologique, déjà bien insuffisantes.
« Il faudrait 813 milliards d’euros par an, soit 5,1 % du PIB européen, pour les seuls secteurs transport, énergie et bâtiment. Nous n’en sommes qu’à la moitié, avec 407 milliards, soit 2,6 % du PIB européen », avance Clara Calipel, chercheuse à l’I4CE. La fin du plan de relance, en 2026, risque de tarir une source essentielle de financement, « alors même que les besoins vont augmenter », ajoute Camille Defard.
« L’Europe va avoir besoin d’investissements colossaux pour financer cette transition écologique. Si elle ne s’en donne pas les moyens, ses objectifs risquent de rester lettre morte », alerte Béatrice Lestic, secrétaire nationale, chargée des questions européennes et internationales à la CFDT (intervention à retrouver sur www.cfdt.fr : « Une Europe écolo et solidaire »).
Pour ce faire, la CFDT plaide non seulement pour la pérennisation du plan de relance mais aussi pour la mise en place d’un Fonds européen permanent. C’est donc bien à rebours des appels à la « pause » que se place la CFDT : « Face à l’urgence climatique, il ne faut pas ralentir mais mieux accompagner. »
Ce qui sous-entend, notamment, un accompagnement social indispensable, gage d’acceptabilité. La CFDT revendique pour cela que le Fonds social pour le climat, qui sera doté de 65 milliards d’euros pour l’ensemble des pays membres, soit renforcé. On le comprend : les résultats des prochaines élections seront donc déterminants pour que ces défis soient relevés.