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“Passer de l’Europe marché à l’Europe puissance”

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Une Europe en mutation

Ancien commissaire européen, Pascal Lamy a consacré une grande partie de sa carrière à faire avancer l’idéal européen. À 77 ans, il est toujours aussi actif sur la scène internationale. Il coordonne le travail des instituts Jacques Delors de Paris, Bruxelles et Berlin.

Par Jérôme Citron— Publié le 31/05/2024 à 09h00

Pascal Lamy a été directeur de cabinet du président de la Commission européenne Jacques Delors de 1985 à 1994. Puis Commissaire européen pour le commerce de 1999 à 2004. Et enfin Directeur général de l’Organisation mondiale du commerce de 2005 à 2013.
Pascal Lamy a été directeur de cabinet du président de la Commission européenne Jacques Delors de 1985 à 1994. Puis Commissaire européen pour le commerce de 1999 à 2004. Et enfin Directeur général de l’Organisation mondiale du commerce de 2005 à 2013.© DR

Quel est l’enjeu majeur auquel l’Europe va être confrontée dans les années à venir ?

Le grand sujet, c’est la mutation de l’intégration européenne d’une entité d’ordre plutôt économique vers une entité à composante politique beaucoup plus prononcée. Pour le dire autrement, l’enjeu est de passer de l’Europe marché à l’Europe puissance. Pourquoi ? À cause du monde. Cette mutation est devenue absolument nécessaire. Elle a déjà commencé mais les cinq prochaines années vont devoir l’amplifier et dans des proportions considérables par rapport au passé. On est vraiment à un moment de mutation. La brutalisation du monde et le réchauffement de la planète ont complètement changé la donne depuis une dizaine d’années.

La brutalisation a pour fond de tableau la rivalité sino-américaine qui ne cesse d’augmenter. On ne peut d’ailleurs pas comprendre la guerre russe en Ukraine ou encore les affrontements au Proche-Orient sans avoir en tête ce fond de tableau qui domine les relations internationales. Or l’Europe a été construite pour garantir la paix. Elle n’a jamais été pensée pour faire la guerre, d’où les difficultés actuelles à aider efficacement l’Ukraine. À cela s’ajoute la question environnementale. L’Europe s’en est emparée mais reste encore très seule dans le monde sur cette question. Et il n’y aura pas de résultats si les autres ne s’y mettent pas aussi.

“L’Europe est le seul endroit de la planète où il y a cet alliage de démocratie, d’économie de marché, de systèmes sociaux et d’accès à la culture que beaucoup nous envient.”

Comment réussir cette mutation ?

Si on regarde les crises qui ont frappé l’Europe depuis 2008, elles sont toutes venues de l’extérieur : la crise financière, les réfugiés, le Covid, l’Ukraine… Cela confirme que l’Europe est soumise à des chocs qui l’obligent, pour survivre en tant que processus d’intégration, à passer à autre chose. Et cette autre chose passe par une dimension « sécurité et défense » – notamment pour gagner en Ukraine ; par la poursuite du Pacte vert (le Green Deal), qui est devenu une marque d’identité à travers le monde, et par la poursuite de l’élargissement.

Ces trois sujets ont un point commun : ils coûtent très cher. Pour réussir cette mutation, il faudrait un budget européen chaque année équivalent à trois budgets actuels. L’enjeu principal qui couvre toutes ces problématiques est donc la programmation financière de l’Union.

On va avoir un débat extrêmement difficile sur les finances communautaires car les États ne vont pas vouloir cotiser plus. La seule issue possible semble être d’emprunter à nouveau avec la signature de l’Union. Encore faut-il trouver l’énergie politique pour le faire.

En quoi les prochaines élections européennes peuvent-t-elles avoir un impact ?

Le dernier scrutin a été marqué par l’augmentation de la participation des jeunes de manière spectaculaire. Ce fait politique, qui a beaucoup surpris, a également permis l’adoption du Pacte vert.

Cette fois-ci, il est probable que le fait politique soit une poussée vers la droite ; la question ouverte est celle de son ampleur, et donc de la nouvelle coalition possible des forces politiques en soutien à la Commission européenne.

La grande coalition (chrétiens-démocrates, sociaux-démocrates, centristes et Verts) va-t-elle être remise en question au profit d’une coalition des droites qui deviendrait majoritaire au Parlement européen ? Dans ce cas, la poursuite de l’intégration européenne pourrait sortir fragilisée de cette élection.

Espérons que le risque populiste, bien réel, ait comme conséquence de remobiliser un électorat attaché au projet européen avec toutes les valeurs qui lui sont attachées.

Le constat est sévère. Êtes-vous inquiet pour l’Europe ?

À propos de l'auteur

Jérôme Citron
rédacteur en chef adjoint de CFDT Magazine

Toute la question est de savoir si l’Europe est capable de se transformer suffisamment pour que son projet reste pertinent dans ce monde qui a totalement changé.

L’Europe est le seul endroit de la planète où il y a cet alliage de démocratie, d’économie de marché, de systèmes sociaux et d’accès à la culture que beaucoup nous envient. On a une chance que ce modèle européen survive, mais si on ne gagne pas de la puissance et de l’influence, on risque d’être largués. Jacques Delors parlait, à son époque, de « survie ou de déclin ». Il faut prendre conscience que l’Europe est un ensemble qui rétrécit relativement. Le monde est, et sera, beaucoup plus asiatique, puis africain.

Il y a trente ans, on pouvait penser que le monde allait converger vers un modèle européen. Aujourd’hui, on est obligé de changer de perspective, et de braquet.