Poulain : bataille syndicale contre le projet de fermeture

temps de lectureTemps de lecture 7 min

iconeExtrait de l’hebdo n°3926

À la mi-juin, la direction du site du chocolatier Poulain annonçait son intention de fermer l’usine de Blois au motif qu’elle n’est plus assez rentable. Ses 109 salariés sont consternés. La CFDT, en intersyndicale, entend combattre ce projet mortifère, jugé injustifié sur le plan économique et donc inacceptable.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 02/07/2024 à 12h00

image
© DR - CFDT

1. Comité social et économique central.

Sous la tente installée à l’entrée du site de l’usine Poulain de Villebarou, à proximité de Blois (Loir-et-Cher / Centre-Val de Loire), une vingtaine de salariés sont rassemblés en cette matinée du 25 juin. Les visages sont graves, l’humeur est sombre. Sur une grande table, du café, des bonbons et des chocolats, bien sûr, pour meubler l’attente. À quelques dizaines de mètres de là, dans le vaste bâtiment de l’usine, leur avenir est en train d’être scellé : la direction a convoqué une réunion du CSEC1 Afin d’officialiser son projet de délocalisation de la production et de fermeture du site.

Pour les 109 salariés du site, l’annonce, tombée une semaine plus tôt, a eu l’effet d’une douche froide. « Il y a encore quelques mois, on nous disait que tous les voyants étaient au vert. Et là, on nous dit “terminé, on délocalise et on ferme”. C’est le coup de massue », souffle Aurélien Lambert, membre de la section syndicale CFDT. « Nous sommes tous choqués. On ne s’attendait vraiment pas à ça », confirme une salariée entrée chez Poulain comme intérimaire il y a dix-huit ans.

“Une activité largement profitable”

Selon la direction de Carambar & Co (le groupe détenteur de la marque depuis 2017), le site ne serait plus assez rentable. L’argument fait bondir les représentants CFDT : « L’activité de Poulain à Blois est largement profitable, elle a dégagé 11 millions d’euros de marge brute en 2022 ! », s’est étranglé Michaël Amadis, le coordinateur CFDT du groupe Carambar & Co, le jour de l’annonce, en soulignant l’aspect « totalement injustifié et inacceptable du projet ». Certes, l’usine tourne en sous-capacité. « On a produit 29 000 tonnes l’an dernier, sachant que l’usine peut en produire plus de 63 000. En poudre, on a les capacités de produire 23 000 tonnes mais on n’est qu’à 7 000 tonnes. C’est notre point faible, et on le savait. Mais la direction nous disait qu’elle cherchait des volumes additionnels, sauf que, dans le même temps, elle n’a pas renouvelé des contrats avec certaines marques distributeurs », dénonce Aurélien.

“Ils nous ont endormis”

Sous la tente, au fil des heures qui s’égrènent et de l’attente qui s’étire, les langues se délient et les reproches à l’encontre de la direction et de sa stratégie fusent. « On nous a annoncé 46 millions d’euros d’investissements depuis 2017, dont 30 millions dédiés au marketing… On n’a pas vu les effets sur les ventes ! », tacle un salarié. Contrairement aux engagements que le groupe avait pris lors du rachat de la marque à la multinationale américaine Mondelēz (revaloriser la marque, faire le pari du made in France…), les salariés ont plutôt l’impression qu’« ils ont tout fait pour tuer la marque », assène un autre.

image
© DR - CFDT

« Il y a trois ans, on a arrêté la production des Fry’s [barres chocolatées fourrées à la crème], qui a été transférée en Pologne. L’an dernier, on a encore revendu une ligne de production de chocolat en poudre… Ça représentait 5 000 tonnes par an, quand même. En fait, ils nous ont endormis : ils nous ont dit “on cherche de nouveaux produits, on va relancer la marque”, mais ils n’ont pas mis les moyens et n’en avaient manifestement pas la volonté », explique Didier, 56 ans, depuis seize ans chez Poulain.

“Poulain, c’est Blois, et Blois, c’est Poulain”

Amer, ce technicien spécialiste de la fabrication du chocolat (l’usine de Blois reste le seul fabriquant industriel de chocolat en France, avec un savoir-faire très reconnu) se souvient de ces années « où on travaillait encore en trois-huit et même les week-ends. Ça fait mal au cœur de voir ce que c’est devenu ». Quelques collègues retraités venus apporter leur soutien confirment les propos de Didier. « De toute façon, Eurazeo [l’actionnaire majoritaire du groupe Carambar & Co], ce sont des financiers, des investisseurs. Ils rachètent, réorganisent et finissent par revendre. Ce n’est pas l’outil industriel qui les intéresse, lâche l’un d’eux. Alors les salariés, vous pensez… »

2. Le site historique de Poulain, dans le centre-ville de Blois, a été fermé en 1991, date de la mise en route de l’usine de Villebarou (designée par l’architecte Jean Nouvel).

Pourtant, tous continuent à témoigner de leur attachement à entreprise. Dans la région de Blois, Poulain n’est ni marque ni une usine comme les autres, c’est un emblème. L’image du fondateur, Victor-Auguste Poulain, qui a créé la première usine en plein cœur de Blois au xixe siècle, est d’ailleurs en poster sur le barrage de banderoles qui s’élève à l’entrée du site actuel, distant d’une dizaine de kilomètres2. « Poulain fait partie du patrimoine industriel de Blois. Quand l’usine était encore au cœur de la ville, celle-ci vivait au rythme de l’usine : la sonnerie, l’odeur du chocolat… C’était notre baromètre météo : si vous sentiez le chocolat, c’est qu’il allait pleuvoir », se souvient avec émotion Tiffany Brosse, assistante de direction.

image
© CFDT Agri-Agro

“On va se battre pour notre site”

À propos de l'auteur

Emmanuelle Pirat
Journaliste

Sous la tente, l’après-midi touche à sa fin. On attend avec impatience le compte rendu des délégués syndicaux et les résultats des discussions du jour. L’abattement de certains (« De toute façon, c’est plié ») contraste avec la détermination de quelques autres (« On va se battre pour notre site, notre usine et nos emplois »). Michaël Amadis a choisi de rester combatif : « Nous contestons les motifs économiques avancés par la direction, inscrits dans le livre 2 ; nous en demandons la réécriture. » Les pourparlers ne sont donc pas terminés, d’autres réunions devront être inscrites à l’agenda. Accompagnée par les avocats du cabinet LBBa et les experts de Syndex, l’intersyndicale n’a pas dit son dernier mot.