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Extrait de l’hebdo n°3917
Le Bureau national a décidé, à l’unanimité, jeudi 18 avril, d’entériner l’échec de la négociation “Pacte de la vie au travail” et de ne pas signer l’accord. Pour quelles raisons ? Quelles sont les conséquences de ce désaccord avec les organisations patronales ? Éléments de réponse avec Yvan Ricordeau, le secrétaire général adjoint.
Quelle décision la CFDT a-t-elle prise quant au résultat de la négociation « Pacte de la vie au travail » ? Pourquoi ?
Le Bureau national de la CFDT, à l’unanimité de ses membres, a décidé de ne pas signer l’accord. Chacun a relevé qu’il n’y avait pas d’avancées substantielles dans l’accord après deux mois de négociation. Cette dernière n’a pas été inutile pour pousser les objectifs de la CFDT, notamment sur les entretiens professionnels et l’emploi des seniors, avec une négociation obligatoire en entreprise sur le sujet. La CFDT a poussé pour développer le temps partiel de fin de carrière, améliorer les conditions et la soutenabilité du travail des salariés les plus expérimentés. Il n’y a rien de tout ça dans le texte final. Pire, sur les droits existants, la proposition patronale a la velléité de les amoindrir encore. C’est le cas avec la rupture du contrat de travail en cas de reconversion. C’est le cas aussi avec le CPF, qui est moins à la main du salarié. C’est le cas enfin avec la communication obligatoire par le salarié d’une date de départ en retraite. Non seulement il n’y a donc pas de droits nouveaux, mais en plus il y a une détérioration des droits individuels tels qu’ils existent aujourd’hui.
Comment s’est passée cette négociation ?
La première phase, le diagnostic, s’est plutôt bien passée, puisqu’on a pu aborder avec beaucoup d’experts des points qui intéressent la CFDT, notamment la soutenabilité du travail durant la première partie de carrière. Ensuite, il y a eu une phase de négociation « dégradée », avec des séances très longues qui ont finalement tourné en rond, alors que l’on était sur des sujets complexes, qui nécessitaient d’acter des avancées. La dernière séance, qui a duré quarante-huit heures, a été caricaturale : le patronat a eu besoin de nombreuses interruptions de séance pour modifier le texte de façon très marginale. Cela démontre que, dans cette négociation, la partie patronale ne voulait pas aboutir.
Comment la CFDT analyse-t-elle l’échec de cette négociation ?
Pour la CFDT, cet échec est clairement de la responsabilité des organisations patronales. Nous avons tout fait pour trouver une voie de passage, car il nous semble indispensable d’apporter des réponses aux salariés sur l’allongement de leur carrière, avec le report progressif de l’âge de départ en retraite à 64 ans. Mais le patronat a fait une nouvelle fois la démonstration que la question des conditions de travail n’est pas sa préoccupation et qu’il ne veut pas négocier sur cet enjeu-là. Il se cantonne à l’emploi et au recrutement. Enfin, il y a aujourd’hui une mésentente entre les organisations patronales qui tirent le dialogue social plutôt vers le bas. Nous sommes dans une période où la CFDT est en attente d’avoir un dialogue social ambitieux qui sache prendre des risques. Mais pour ça, il faut être deux.
Quelles peuvent être les conséquences futures sur les relations entre les organisations patronales et la CFDT ?
Une négociation qui n’aboutit pas, c’est forcément une dynamique sur le dialogue social qui est ralentie voire remise en cause. La CFDT pose la question de la loyauté de la négociation à ces organisations patronales. Pour autant, nous sommes une organisation forte, responsable, consciente de ce qui se passe dans les entreprises. Nous continuerons à discuter avec nos interlocuteurs, d’autres négociations sont en cours. La CFDT n’a jamais pratiqué la politique de la chaise vide. Il n’y a aucune raison que cela change.
L’un des effets collatéraux de l’échec de la négociation « Pacte de la vie au travail », c’est la non-signature de l’avenant à la convention d’assurance chômage de novembre 2023 concernant l’indemnisation des seniors. Que va-t-il se passer, alors que le gouvernement a multiplié les annonces ces dernières semaines ?
La CFDT va demander au gouvernement de s’occuper de la question qui devait être négociée par les partenaires sociaux avec cet avenant sur la filière senior et d’agréer la convention de novembre, pour qu’elle s’applique à partir de juillet 2024. Mais nous craignons que l’exécutif ne se saisisse du fait que les partenaires sociaux ne négocient pas cet avenant pour reprendre la main sur la totalité du dispositif d’assurance chômage. Si c’est ce qui se passe, alors la CFDT s’opposera à tout nouveau débat stigmatisant sur la baisse des droits des chômeurs.
Le compte épargne-temps universel (Cetu), revendication CFDT, a été repoussé par la CPME et le Medef, mais l’U2P, l’organisation patronale des très petites entreprises, s’est montrée très intéressée. Qu’en est-il ?
L’U2P nous a proposé d’en discuter. Elle a donc invité, le mardi 16 avril, les organisations syndicales à négocier le compte épargne-temps universel. La CFDT a répondu « présente » [la CPME et le Medef ne sont pas venus, NDLR], et l’accord qui en découlera devrait être satisfaisant, car il prendrait en compte les revendications CFDT. Ainsi, le Cetu devrait pouvoir être alimenté avec des congés payés, des RTT, des primes. Il devrait pouvoir être utilisé pour aider un proche en difficulté, pour un engagement associatif ou acquérir une qualification. L’U2P a souhaité aussi rouvrir une négociation sur la reconversion professionnelle dans les entreprises. Là aussi, le cadre préliminaire aux discussions nous va bien puisqu’il propose un dispositif simple, unifié, et surtout qui maintient le contrat de travail du salarié le temps de la reconversion. C’est une base pragmatique et intéressante. Nous espérons donc aboutir sur ces deux négociations, mardi 23 avril.
Une nouvelle loi travail devrait être en discussion à l’automne. Que va faire la CFDT ?
Nous allons mettre tout notre poids dans la balance pour que cette loi intègre un maximum de nos revendications qui n’ont pas pu aboutir dans la négociation avec le Medef. C’est pourquoi le travail mené avec l’U2P sur le Cetu et la reconversion professionnelle est fondamental. Il crédibilise nos propositions et montre qu’une partie du patronat est partante. Reste à convaincre le gouvernement et les parlementaires. Nous comptons aller à leur rencontre. En somme, il s’agit toujours de porter nos revendications, mais d’une autre façon.