Depuis ses premiers films pour les femmes à son dernier essai, À un clic du pire, Ovidie, réalisatrice et auteure primée, s’attaque aux tabous de la sexualité. Son nouveau combat : la protection des enfants face au porno sur internet. Rencontre.
Que signifie Ovidie, votre pseudo ?
Il vient d’une BD de Ptiluc, Destin farceur, qui raconte la vie de rongeurs dans une décharge. Il y a un hamster considéré comme un « sans queue », donc exclu par la société, un rat homosexuel et Ovidie, une rate qui refuse son statut de femelle pondeuse. Un jour, elle craque et tue ses petits à la naissance. Les trois marginaux décident de vivre en marge de la société.
Et vous, avez-vous été à la marge de la société ?
Je ne sais pas si l’on peut dire ça. J’étais quand même intégrée. J’ai un parcours classique, issue d’une famille de la classe moyenne supérieure. Mes parents étaient directeurs d’établissement, mon père proviseur et ma mère directrice d’établissements psychologiques pour enfants. Dans ma famille, il y a une tradition d’engagement et de militantisme, un grand-père cheminot, l’autre mineur dans le Nord. J’ai été imprégnée de cette saga familiale, avec des luttes, des prises de position fortes et une éducation fondée sur la tolérance.
À 15 ans, vous vous engagez. Contre quoi ?
Contre plein de choses ! À l’hiver 95, j’ai 15 ans. Je suis en seconde et je ne vais pas beaucoup en cours cette année-là.
Je me rapproche de groupes libertaires, dans un combat antisexiste, antiraciste, antihomophobe et contre toutes les discriminations. J’étais très critique envers les mouvements féministes traditionnels. Je voulais aller plus loin. J’étais radicale.
À 18 ans, vous venez à Paris. Pour y faire quoi ?
Je me rends à Paris pour y tourner mon premier film X, puis je m’arrête pendant six mois et je continue de suivre les cours
à la fac en parallèle. Je réfléchis à cette expérience, à ce que je vais en faire. L’année suivante, je prends la décision de passer derrière la caméra. C’est un mix de deux préoccupations : faire des images et adopter un militantisme féministe très anglo-saxon.
Nous sommes à la fin des années 90 et tout ce qui touche, par exemple, aux droits des travailleuses du sexe est absent de la littérature militante. Je voulais me réapproprier ce sujet, combattre la misogynie sur le même terrain avec les mêmes armes. On ne peut pas faire comme si la pornographie n’existait pas. On ne peut pas la faire disparaître ? Eh bien, on la détourne ! J’ai commencé par des fictions mettant en valeur des personnages féminins affranchis, puis j’ai réalisé des vidéos éducatives à caractère sexuel, l’idée étant à chaque fois de représenter une sexualité plus réaliste et moins stéréotypée.
Dans votre livre Porno Manifesto, paru en 2002, vous remettez les pendules à l’heure et expliquez votre démarche…
J’ai arrêté mais je ne regrette rien. Si j’ai tourné et réalisé ces films, c’était dans une démarche militante. Porno Manifesto avait pour but d’expliquer au grand public ce qu’était le féminisme prosexe. Il n’y a pas de trauma d’enfance chez moi, ni de problèmes financiers. J’ai fait des films X devant et derrière la caméra parce que j’avais un message à transmettre, celui de la liberté sexuelle.
Mais attention, la liberté sexuelle n’est pas synonyme de faire n’importe quoi avec n’importe qui. Le féminisme prosexe,
c’est le droit d’avoir des rapports sexuels consentis avec qui on veut et comme on veut. Mais c’est aussi le droit de ne pas avoir
de rapports sexuels du tout. Il ne s’agit pas de prôner nécessairement une surconsommation, simplement une liberté de disposer de son corps.
À 30 ans, vous reprenez vos études de lettres.
Oui, et je n’ai pas terminé. Je suis en troisième année de thèse. Je suis devenue documentariste, le premier film à avoir connu un réel retentissement était Rhabillage, diffusé en 2011. C’est vraiment ce film qui m’a lancée dans ce domaine.
Pensez-vous que la question du rapport de la société au corps des femmes soit réglée ?
C’est toujours compliqué ! Je suis féministe. Je défends les droits des femmes, et je pense que nous devons être vigilants sur les acquis. C’est fragile, on voit encore des gens défiler contre l’avortement. Mais je doute aussi un peu. On s’est battues pour faire tomber les tabous. Or il y a énormément de sexe dans la sphère publique, et j’ai parfois l’impression d’un simulacre de liberté. N’avons-nous pas été récupérées ? La sexualité ne s’est-elle pas transformée en une charge mentale supplémentaire ? Les magazines féminins incitent à pimenter ses relations en imposant des diktats.
Justement, votre roman graphique Libres ! est un manifeste pour s’affranchir des diktats. Quel message souhaitez-vous faire passer aux jeunes femmes ?
J’aimerais leur dire qu’il faut rester soi-même. Et qu’il ne faut en aucun cas discréditer quiconque pour sa sexualité prétendue ou réelle. Nous sommes les seules décisionnaires de ce que nous faisons de notre corps ! Et rien ni personne ne devrait jamais nous dicter notre conduite.
Cette question du consentement a émergé avec force. Y a-t-il un avant et un après #MeToo ?
J’en suis sûre. La parole s’est libérée. J’interviens sur ces thèmes dans les lycées et les collèges. Les jeunes posent des questions, s’y intéressent, s’interrogent. Il y a vingt ans, quand j’étais adolescente, on n’évoquait pas ces sujets-là. On parlait de préservatif, de sida mais jamais de consentement. Même chose pour le viol. Récemment, des policiers ont été condamnés. Ils ont écopé de sept ans de réclusion. Le message que la société envoie est la fin de l’impunité. Non, même en short et bas résille, ivre, une fille qui dit non, c’est non ! Il y a quelques années, ce procès n’aurait pas conduit au même verdict.
Dans votre dernier livre, À un clic du pire, vous tirez la sonnette d’alarme : la pornographie est désormais accessible aux plus jeunes, sans limite… N’est-ce pas contradictoire avec votre parcours ?
Pa…
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