Opération de visibilité pour mettre fin à la “fabrique des sans-papiers”

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iconeExtrait de l’hebdo n°3906

À l’appel du collectif Bouge ta pref, une équipe de la CFDT-Île-de-France est venue à Montreuil (Seine-Saint-Denis) soutenir les travailleurs sans papiers et dénoncer les pratiques abusives qui entravent leur régularisation. Reportage.

Par Sabine Izard— Publié le 06/02/2024 à 13h00

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© Syndheb

1. Il réunit une petite vingtaine d’associations et de syndicats venant régulièrement en aide aux travailleurs sans papiers.

Devant le tribunal administratif de Montreuil le 22 janvier dernier au matin, le message est clair : « Régularisation ! » Le collectif Bouge ta pref1 est venu déposer cent recours en référé contre les pratiques abusives des préfectures d’Île-de-France, notamment les démarches en lignes imposées qui rendent impossible la prise de rendez-vous et donnent libre cours aux interprétations plus ou moins légales des circulaires de la part des préfectures. Aux côtés de ses partenaires du Pacte du pouvoir de vivre, Cimade et Secours catholique, la CFDT-Île-de-France est là, en soutien des travailleurs sans papiers mais aussi du personnel administratif, souvent débordé par les nouvelles procédures.

Un phénomène d’invisibilisation des travailleurs sans papiers

Les militants dénoncent la dématérialisation des démarches, censée répondre au problème des files d’attente massives devant les préfectures. « Nous constatons aujourd’hui une invisibilisation des travailleurs sans papiers, affirme Aurélie Lavigne, chargée du dossier relatif à la lutte contre les discriminations et à l’accueil des personnes migrantes pour la CFDT-Île-de-France. Aujourd’hui, pour obtenir un rendez-vous physique dans une préfecture de Seine-Saint-Denis, il faut disposer d’un accès internet, savoir utiliser l’outil numérique et bien comprendre le français. Et après leur démarche, les personnes vivent dans l’incertitude durant de longs mois, sans aucune possibilité de joindre le moindre interlocuteur ni de connaître l’état d’avancement de leur dossier. Tout cela accroît leur marginalisation. »

En outre, la dématérialisation des démarches alimente une espèce de marché noir où les rendez-vous se négocient jusqu’à 1 000 euros. « Dans le 93, à cause de la barrière du numérique, nous n’avons pas pu présenter de demande de régularisation depuis la période Covid. Cela fait des années que nous n’avons pas été reçus par le secrétaire général de la préfecture », déplore Raphaël Breton, secrétaire général de l’Union territoriale interprofessionnelle (UTI) CFDT de l’Est francilien. « Nous sommes parfois sollicités directement par des employeurs qui nous demandent notre aide en vue de régulariser des salariés qui travaillent chez eux. Eux aussi sont démunis. »

Des rendez-vous donnés après l’expiration du titre de séjour

« Les dysfonctionnements lors du renouvellement des titres de séjour participent massivement à nourrir la fabrique de sans-papiers », déplore de son côté le collectif Bouge ta pref. Aujourd’hui, la préfecture de Seine-Saint-Denis accorde un rendez-vous en moyenne… quatre à cinq mois après l’expiration du titre de séjour temporaire d’un an. Les personnes originellement en situation régulière basculent ainsi dans l’irrégularité, et les conséquences pour elles sont dramatiques : perte d’emploi, perte de logement, suspension des droits sociaux. « Et lorsque, enfin, les demandeurs peuvent retirer leur nouveau titre de séjour, celui-ci n’est plus valable que pendant sept à huit mois ; il doit encore être renouvelé peu de temps après », poursuit un porte-parole du collectif.

« Il faut bien comprendre que lorsqu’on parle de régularisation de travailleurs sans papiers, on parle de personnes qui contribuent à la vie du pays, dans des métiers souvent pénibles et que, sans leur contribution, nous serions tous en difficulté, rappelle Nadia Bergout, secrétaire générale du Syndicat francilien des agents de la Sécurité sociale. Ce sont des travailleurs qui s’occupent de nos anciens dans des Ehpad, qui s’occupent de nous dans les hôpitaux, qui travaillent même dans certaines administrations, nos écoles, nos restaurants, qui construisent nos logements. »

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À cette maltraitance administrative s’ajoutent des procédures préfectorales arbitraires, voire illégales, dénonce enfin le collectif Bouge ta pref, telles que la non-délivrance de récépissé de dépôt de demande de titre de séjour, le refus d’autorisation de travail, le refus d’accepter d’enregistrer l’adresse où l’on peut recevoir son courrier, des demandes extralégales de pièces à fournir… « Il existe huit préfectures en Île-de-France, développe Raphaël Breton, ce qui fait éventuellement huit interprétations différentes des textes », rappelant au passage que, faute de loi sur le sujet, la régularisation des sans-papiers est laissée à l’arbitraire préfectoral.

Quinze mois passés sans réponse…

« J’ai déposé mon dossier en octobre 2022. Ça fait quinze mois que je n’ai pas de réponse. Mes deux enfants ont grandi ici. J’ai peur de les laisser partir à l’école tous les matins. Nous vivons dans le stress », témoigne Samia, en attente de la régularisation de sa situation. « Cette action collective a un intérêt politique mais surtout juridique », explique Louis Maillard, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis et membre du Syndicat des avocats de France. « Aujourd’hui, des juridictions doivent se saisir de la question de la continuité des services publics et de l’égal accès à ce service public. S’il le faut, nous n’hésiterons pas à saisir le Conseil d’État. »