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Extrait de l’hebdo n°3918
Le 22 avril, le gouvernement annonçait sa volonté de reprendre la main sur l’assurance chômage après l’échec de la négociation Pacte de la vie au travail. Il entend lui-même fixer les règles qui s’appliqueront à partir du 1er juillet. Quelle réaction? Quelles marges de manoeuvre? Entretien avec Olivier Guivarch, secrétaire national chargé des questions d’emploi.
Le scénario d’une reprise en main de l’assurance chômage par l’État, longtemps redouté, est en passe de devenir réalité. Comment réagit la CFDT ?
En novembre dernier, lorsque nous entrions dans la dernière ligne droite de la négociation de la convention d’assurance chômage, il n’était pas question pour nous de discuter de nouvelles règles d’indemnisation des demandeurs d’emploi sans avoir d’engagement du patronat d’améliorer l’emploi des seniors et de les maintenir en emploi. C’était le sens de la négociation Pacte de la vie au travail, dans laquelle le patronat n’a pas voulu négocier les mesures d’accompagnement nécessaires pour ces salariés. Il y a une responsabilité claire du patronat dans l’échec de cette négociation.
Aujourd’hui, on a un gouvernement qui considère que la convention conclue en 2023 n’existe pas parce qu’incomplète mais surtout parce qu’elle ne répond pas à l’idée qu’il se fait de l’assurance chômage. La loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel lui donne la possibilité de se servir de cet état de carence pour fixer ses propres règles par décret… Et de durcir l’indemnisation pour tous les demandeurs d’emploi d’ici au 1er juillet.
Une concertation a néanmoins été annoncée dans les prochaines semaines…
On le sait, tout risque d’aller très vite si les décrets doivent être publiés au 1er juillet. Dès lors, peut-on vraiment parler de concertation ? Une concertation sous-entendrait que le gouvernement prenne en compte ce que lui disent les partenaires sociaux et fasse évoluer les choses dans un sens plus favorable pour les demandeurs d’emploi. Malheureusement, les délais contraints et les pistes de réforme distillées ces dernières semaines ne semblent pas aller dans ce sens.
Plusieurs pistes sur la durée d’indemnisation ou les conditions d’affiliation (durée de travail nécessaire pour pouvoir prétendre à une indemnisation) ont en effet déjà été avancées par Gabriel Attal. Ces derniers jours, une autre piste évoquée est celle d’allonger le différé spécifique d’indemnisation en cas de rupture conventionnelle. Avec quelles conséquences pour les demandeurs d’emploi ?
À l’automne dernier, certains éléments touchant à la durée d’indemnisation et d’affiliation avaient été chiffrés par les services de l’Unédic, mais jamais dans de telles proportions ! Comment penser qu’on puisse aller si loin dans la baisse de droits ? Les études de la Dares ont déjà montré les effets dramatiques des réformes précédentes sur les plus vulnérables (les jeunes sans diplôme, les femmes en temps partiel imposé…). Aujourd’hui, le gouvernement veut de nouveau durcir fortement les règles, avec une approche mécanique et froide de l’assurance chômage, qui n’est pas celle qui guide les partenaires sociaux depuis la naissance du régime.
C’est-à-dire ?
Il y a deux manières de concevoir l’assurance chômage : celle des partenaires sociaux qui voit l’assurance chômage comme un amortisseur social qui permet, par exemple en cas de pandémie, de mettre en place des périodes de chômage partiel pour éviter les licenciements, et qui offre aux demandeurs d’emploi un temps indispensable pour rebondir et ne pas basculer dans des trappes à pauvreté. Cette gestion, plutôt dynamique, est d’ailleurs partagée par beaucoup d’employeurs. De l’autre côté, il y a cette gestion comptable du gouvernement où l’assurance chômage doit devenir une aide sociale financée en partie par l’impôt, avec des règles qui peuvent varier au fil du temps politique. L’assurance chômage n’a pas été conçue pour être une variable d’ajustement budgétaire de l’État.
Est-on arrivé à un point de rupture entre ces deux visions de l’assurance chômage ?
On s’en approche en tout cas. La reprise en main telle qu’annoncée aujourd’hui par le gouvernement nous rapproche dangereusement d’une étatisation de l’assurance chômage. Cela pose clairement un problème de gouvernance. Si le gouvernement agit par décret, cette situation nous oblige, organisations syndicales comme patronales, à nous poser la question de la responsabilité de la définition des règles. Je pense surtout aux demandeurs d’emploi qui voient leur indemnisation diminuée sans réel débat politique et sans pouvoir être défendus par les organisations dépossédées de leur pouvoir d’action. C’est cela le plus préoccupant.
Quelles sont aujourd’hui les marges d’action de la CFDT et plus largement des organisations syndicales ?
On a fait plusieurs choses, comme la tribune signée par les numéros un des organisations syndicales, mais nous restons dans notre rôle de contre-pouvoir. La CFDT va continuer à expliquer son positionnement et les conséquences des réformes déjà mises en œuvre. Là où le gouvernement assène des chiffres, nous voulons montrer la vie des individus et déconstruire les préjugés qui polluent le débat autour du chômage. Là où le gouvernement estime que les règles les plus dures incitent au retour à l’emploi, nous savons qu’en dessous d’un certain niveau d’indemnisation, on dégrade les conditions d’existence et on met des gens dans une situation dramatique.
De l’autre côté du guichet, l’inquiétude monte également chez les salariés de France Travail. Un document interne note une hausse significative des incivilités et tensions dans les agences en 2023… Cela te surprend-il ?
Malheureusement non. Il faut se rappeler que la politique dite de « plein-emploi » du gouvernement devait être accompagnée de plus de moyens, avec la création d’un réseau pour emploi. Aujourd’hui, cette promesse de moyens supplémentaires alloués n’est pas tenue. Si elle n’est pas tenue, cela veut dire que l’accompagnement ne pourra pas être renforcé. Entre des demandeurs d’emploi pressurisés et stigmatisés d’un côté et des salariés qui voudraient mieux faire leur travail mais qui sont privés de moyens de l’autre, on a là tous les ingrédients d’un cocktail social explosif.