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1964 - 2024 : 60 ans
Valeur cardinale de la CFDT, l’émancipation a guidé le parcours d’Yvonne Delmotte depuis son adhésion, en 1967. Témoignage d’une ouvrière devenue secrétaire générale d’une fédération.
Comment as-tu « rencontré » la CFDT ?
J’ai adhéré à la CFDT relativement jeune, j’avais 21 ans en janvier 1967. J’en étais déjà à ma troisième entreprise en six ans ; dans les deux premières, il n’y avait pas d’organisation syndicale. Et là, d’un coup, je me retrouve face à quatre organisations syndicales dans l’usine.
Très rapidement, je me suis mise à lire les panneaux d’information syndicale et, très honnêtement, il n’y avait pas photo quand on comparait les interventions de la CFDT et des autres syndicats.
J’ai donc naturellement choisi la CFDT. Pourtant, je ne connaissais pas l’histoire de l’organisation et, en plus, je viens d’une famille CGT ! J’ai commencé à travailler à 15 ans à La Redoute, à Roubaix (Nord) ; la déconfessionnalisation, je n’en avais pas vraiment entendu parler mais, rapidement, j’ai eu soif de connaître l’histoire de mon syndicat.
Pendant les semaines de grève de Mai-68, j’ai énormément discuté avec les militants CFDT et j’ai commencé à prendre la parole lors des AG. De fil en aiguille, on m’a proposé d’être candidate lors des élections du comité d’entreprise (CE) qui, dans toutes les entreprises de textile de Roubaix et Tourcoing, se déroulaient en novembre.
Ce fut mon premier mandat. Et lorsque, par la suite, on m’a confié des responsabilités, je ne les ai jamais refusées. J’ai donc été de toutes les luttes ouvrières dans le textile des années 70. Cette période de rapprochement entre ouvriers et intellectuels a été un moment fort et très formateur.
“L’émancipation permet d’acquérir une autonomie de pensée et d’action. Elle permet de renforcer la confiance en soi. Et ce n’est pas rien, une organisation qui vous permet cela ! ”
Comment une ouvrière du textile qui n’a pas pu faire d’études devient-elle secrétaire générale d’une fédération ?
J’ai commencé à travailler à 14 ans et j’ai été mère à 16, je n’ai pas suivi d’études secondaires mais la CFDT m’a permis de bénéficier de la meilleure formation qui soit. Je considère que c’est une chance que j’ai eue d’avoir pu gravir les échelons syndicaux un par un. J’ai pu avancer étape par étape, de l’élection dans mon entreprise jusqu’à la commission exécutive confédérale, en passant notamment par les responsabilités de secrétaire du CE, secrétaire de syndicat et secrétaire générale de la Fédération HaCuiTex*. Ce parcours m’a offert une légitimité quant à ma pratique syndicale et mon expérience militante.
De fait, pour moi, le syndicalisme est la plus grande et la meilleure des écoles. Et maintenant que je suis à la retraite et que je m’investis dans le milieu associatif, je réalise à quel point la CFDT m’a donné la capacité de savoir gérer une réunion, un projet, de prendre des décisions et de les mettre en œuvre. La bonne volonté ne suffit pas pour agir.
La CFDT m’a appris la structuration. J’ai souvent dit que je suis bac moins 6, je n’ai que mon certificat d’études. Mais quand j’ai quitté mon poste de secrétaire générale d’HaCuiTex, j’ai fait un bilan de compétences qui a mis en évidence tout ce que la CFDT m’avait apporté comme savoir-faire. Et preuve que cela devait être vrai : Nicole Notat [secrétaire générale de 1992 à 2002] m’a ensuite proposé de venir à la Confédération, puis quatre ans plus tard d’intégrer la Commission exécutive.
Au-delà de la montée en compétences, que retiens-tu de ton parcours à la CFDT ?
Ce que je reconnais par-dessus tout à la CFDT, et ce dont je suis sans doute la plus reconnaissante, c’est de m’avoir toujours permis d’exprimer mes positions et de les défendre, quelles qu’elles aient été, même quand elles n’étaient pas dans la ligne. Dans cette organisation, j’ai toujours pu dire ce que je voulais, défendre mon point de vue et j’ai toujours été traitée avec respect lors de nos débats, que ce soit de la part des femmes ou des hommes. À la CFDT, dans nos débats et nos congrès, même quand ça bataillait dur, les échanges se faisaient d’égal à égal, argument contre argument, que l’on soit ouvrier ou cadre, polytechnicien ou non-diplômé, femme ou homme.
C’est cela, pour moi, l’émancipation : la confrontation des idées dans le respect mais en étant poussés, collectivement, à trouver la meilleure argumentation pour défendre ses positions. C’est une forme d’émulation intellectuelle très puissante.
Justement, quelle définition donnerais-tu de l’émancipation ?
L’émancipation permet d’acquérir une autonomie de pensée et d’action. Elle permet de renforcer la confiance en soi. Et ce n’est pas rien, une organisation qui vous permet cela ! Cela passe par l’envie de se « grandir » intellectuellement, par la lecture, notamment, mais aussi par le contact et l’échange avec les autres. Lire pour apprendre ou pour approfondir et aller vers les autres sont deux éléments qui ne m’ont jamais quittée depuis que j’ai adhéré à la CFDT.
Mais, attention, s’émanciper au sens où on l’entend et on le met en pratique à la CFDT, c’est se grandir sans jamais renier ce que l’on est et d’où on vient. Contrairement à Annie Ernaux, je ne suis pas mal à l’aise, je n’ai pas honte d’être bac moins 6, ouvrière, et d’avoir eu mon fils à 16 ans.
Enfin, l’émancipation, c’est aussi l’exigence envers soi-même : j’en ai passé, des heures à bosser mes interventions et des nuits à lire des bouquins qu’il ne me serait jamais venu à l’idée de lire si ça n’avait pas été dans le cadre syndical ! Oui, j’ai donné beaucoup à l’organisation – parce que je le voulais bien – mais je ne me suis jamais sacrifiée et, surtout, j’ai reçu tellement plus de sa part.
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