“On craint une casse sociale sans précédent”

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iconeExtrait de l’hebdo n°3941

Sous le feu des projecteurs, l’industrie chimique française connaît une vague de plans sociaux inédite qui fait craindre de grosses difficultés sur le front de l’emploi dans les mois à venir. Dans le même temps, la société civile est amenée à se prononcer sur les grandes orientations en matière d’énergie et de transition écologiques pour les années à venir. Tour d’horizon avec Dominique Bousquenaud, secrétaire général de la CFDT Chimie-Énergie.

Par Anne-Sophie Balle— Publié le 12/11/2024 à 13h00

Le mercredi 6 novembre, devant le tribunal de commerce de Lyon, la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, est venue soutenir les salariés de Vencorex du Pont-de-Claix (Isère / Auvergne-Rhône-Alpes), un pilier de la chimie française, actuellement en redressement judiciaire et qui cherche un voire des repreneurs sérieux…
Le mercredi 6 novembre, devant le tribunal de commerce de Lyon, la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, est venue soutenir les salariés de Vencorex du Pont-de-Claix (Isère / Auvergne-Rhône-Alpes), un pilier de la chimie française, actuellement en redressement judiciaire et qui cherche un voire des repreneurs sérieux…© Syndheb

Vencorex, Michelin, Sanofi… : ces dernières semaines, les mauvaises nouvelles sur le front de l’emploi se multiplient et n’épargnent pas le secteur de l’industrie chimique. Comment l’expliques-tu ?

Il est vrai que, ces derniers temps, chaque jour apporte son lot de restructurations. Il y a plusieurs raisons à cela. Si on prend le cas de la filière automobile, où nous avons beaucoup d’entreprises sous-traitantes, le poids de la concurrence chinoise (et, dans une moindre mesure, américaine) pèse fortement sur le secteur, avec de grandes craintes sur la pérennité des métiers (compétences techniques) et des emplois.

S’ajoutent à cela des plans de réorganisation dans de grandes entreprises qui ne sont pas en difficulté mais qui cèdent une partie de leur activité. On l’a vu ces derniers jours avec Sanofi, qui cède une partie de sa filiale pharmaceutique, Opella, mais aussi ExxonMobil, qui a fait le choix de supprimer sa partie pétrochimie pour produire ailleurs. Il faut bien comprendre que la baisse de l’activité économique n’est pas propre à la France. Quand on a des multinationales dont le « modèle capitaliste » n’est pas français ou européen, la tendance au repli de la production dans le pays d’origine est forte. Au total, nous avons actuellement une cinquantaine d’entreprises de nos champs qui sont concernées par des restructurations.

Quelles conséquences sur l’emploi ?

Nous n’avons pas pour l’instant de chiffrage global précis mais, clairement, on craint une casse sociale sans précédent avec un redoutable effet domino. Pour ne reprendre que les derniers exemples en date, Vencorex – actuellement en redressement judiciaire, ce qui suscite de grandes inquiétudes puisqu’il s’agit maintenant de trouver un repreneur – est certes peu connu du grand public, mais c’est un maillon dans la chaîne de valeur qui mobilise près de 5 000 salariés dans les départements de l’Isère et du Rhône, avec des entreprises beaucoup plus renommées : Arkema, Air Liquide, Engie, Framatome… L’arrêt de la production risque d’emporter tout le monde dans son sillage.

Quant à Michelin, qui a annoncé au début novembre la fermeture de deux sites (Cholet et Vannes), c’est le choc. Cela fait des années que nos élus alertent sur le déclin industriel des différentes usines Michelin en France. Les salariés s’attendaient à une restructuration, voire un PSE, mais certainement pas que la décision de la direction consisterait à fermer les sites et délocaliser la production en Italie ou en Pologne, et ainsi laisser 1 250 salariés sur le carreau ! Dans un bassin d’emploi, Cholet – où Michelin est le deuxième employeur –, c’est catastrophique. Surtout, cela correspond à une vision court-termiste qui ne règle pas la question du comment on alimente en production les autres usines.

1. Créée par la loi d’août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la PPE définit les priorités d’action des pouvoirs publics et les moyens de mise en œuvre de la transition pour tous les secteurs de l’énergie.

Autre actualité, la France a présenté sa nouvelle feuille de route pour le climat et l’énergie. Une consultation publique est d’ailleurs ouverte en ce qui concerne la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE)1. Quel regard portes-tu sur ces orientations qui courent jusqu’en 2035 ?

Le texte propose un développement du mix énergétique plutôt intéressant, qui va dans le sens de ce que prône la Fédération CFDT Chimie-Énergie (FCE) en matière d’énergie décarbonée. On le sait : la relance du nucléaire n’est pas pour demain, et, en attendant, il va bien falloir produire de l’électricité et d’autres énergies. Dans ce qui est mis en avant par la PPE, il est notamment question du biogaz, qui pourrait être une énergie de transition intéressante jusqu’à 2030. Comme lors de chaque consultation publique, la FCE, en collaboration étroite avec la Confédération, utilisera cette tribune pour publier une contribution (appelée cahier d’acteurs) rappelant nos positions en faveur de la transition énergétique et de la nécessaire réorientation de l’économie vers un modèle bas carbone mais aussi ses impacts sur les entreprises, les emplois et les salariés.

Justement, la France est-elle prête à vivre cette accélération ?

La question n’est pas tant de savoir si elle est prête que de savoir si elle est capable de faire quelque chose de socialement acceptable. Il faut en effet trouver les voies de passage afin que le prix de l’énergie soit à la fois accessible aux ménages et compétitive pour les entreprises – la question du coût de l’énergie étant primordiale dans le secteur de l’industrie. En tant qu’acteur social, nous voulons également mettre l’accent sur la précarité énergétique. Aujourd’hui, que l’on habite une grande maison avec piscine ou un tout petit appartement, on paye l’électricité le même prix. Pourquoi ne pas imaginer un système où l’on paierait un certain volume à un prix plus abordable qui augmenterait une fois ce volume dépassé – de façon que ceux qui ont plus de moyens que les autres contribuent davantage ? C’est en tout cas une des pistes que l’on souhaite privilégier dans le cadre de notre contribution.

Quoi qu’il en soit, si on ne veut pas que la France loupe le train, il nous faut du sens et de la continuité dans les choix politiques. Aujourd’hui, les propositions du gouvernement semblent plutôt équilibrées, ce qui nous rassure un peu après avoir une impression de revirement ces derniers mois, avec l’abandon de la loi énergie-climat.

Tous ces sujets seront, on l’imagine, au cœur du prochain congrès de la FCE, du 13 au 16 mai à Lille. Comment se prépare-t-il ?

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

C’est vrai, nous sommes à six mois du congrès, lors duquel je passerai la main après dix années en tant que secrétaire général. Le projet de rapport d’activité vient d’être présenté au comité directeur fédéral, et on travaille actuellement aux orientations avec, pour la première fois, un gros travail collectif qui vise à faire participer le plus grand nombre. L’architecture de la résolution est déjà actée autour de cinq chapitres. Les groupes de travail, qui réunissent une vingtaine de militants sur chacun des chapitres, ont déjà commencé. Le tout sera présenté en décembre ; s’ensuivra un travail d’appropriation et d’amendements par les syndicats.

Aux côtés des salariés de Vencorex

Le 6 novembre, la secrétaire générale de la CFDT est venue soutenir les salariés de Vencorex et échanger avec eux ; leur entreprise a été placée en redressement judiciaire il y a deux mois. Quatre-vingts salariés – issus du pôle recherche et développement (basé dans le Rhône) et de la plateforme chimique du Pont-de-Claix (Isère) – ont fait le déplacement à Lyon devant le tribunal de commerce, où se tenait une audience de suivi. « Il y a encore le temps de faire en sorte qu’il y ait des reprises sérieuses qui se constituent, il ne faut pas jouer la carte de la précipitation », assure Marylise Léon. Durant l’audience, administrateurs, direction et organisations syndicales ont unanimement demandé aux juges de prolonger au maximum, c’est-à-dire jusqu’au 10 mars 2025, la période d’observation de l’entreprise grenobloise. Le chinois Wanhua Chemical Group, principal concurrent de Vencorex et unique repreneur à s’être déclaré pour l’instant, prévoit de ne conserver que 25 des 450 emplois. « Ce n’est pas du tout à la hauteur des enjeux, ni en termes d’emplois ni en termes de souveraineté industrielle », estime la secrétaire générale de la CFDT, qualifiant l’offre d’« absolument ridicule ».