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1964 - 2024 : 60 ans
Secrétaire général de la CFDT Lorraine de 2006 à 2018, Alain Gatti revient sur les défis auxquels la CFDT a été confrontée dans ce territoire ouvrier et industriel particulièrement meurtri par les crises successives.
1. Il est l’auteur de CFDT-Lorraine – Permanence d’un combat pour les valeurs. Cet ouvrage retrace les combats de l’Union régionale interprofessionnelle de Lorraine pendant près d’un demi-siècle.
Pour bien comprendre l’impact considérable des mutations qu’a connues la Lorraine, il convient de démarrer avec quelques chiffres. En 1962, la sidérurgie comptait 90 689 ouvriers, contre 3 735 en 2018. Alors que 20 550 salariés œuvraient dans les mines de fer au début des années 1960, il n’était plus que 71 lorsque le dernier site encore en activité, celui de Montrouge à Audun-le-Tiche (57) a cessé sa production en 1997. Les « gueules noires » n’ont pas été épargnées non plus. Il semblait loin le temps où plus de 38 000 mineurs s’activaient dans les puits lorsque la dernière mine de charbon, celle du Creutzwald, a fermé ses portes en 2004. En quatre décennies, c’est 70 % de l’emploi industriel lorrain qui a été détruit.
Une évolution structurelle d’ampleur que la CFDT Lorraine a su anticiper. « Avec une longueur d’avance, elle a mis en garde les politiques locaux contre le danger de tout miser sur le socle historique que sont la sidérurgie, les mines et le textile, et n’a eu de cesse d’appeler à la diversification de l’économie », résume Alain Gatti 1, secrétaire général de la CFDT Lorraine de 2006 à 2018 et ancien membre du Bureau national confédéral.
Décrypter les signes précurseurs de la désindustrialisation
« Très tôt, la CFDT Lorraine a fait des propositions en matière de mobilité, de formation ou encore d’aménagement du cadre de vie là ou d’autres organisations syndicales en restaient à de simples revendications salariales », résume ce fin connaisseur de l’histoire sociale régionale. Ainsi, dès le mois de mai 1966, la CFDT Lorraine organisait une conférence et publiait un manifeste pour l’emploi, dans lequel elle présentait son analyse et ses pistes pour s’adapter aux mutations. Alors à son apogée et au cœur des Trente Glorieuses, l’industrie lorraine montrait quand même ses premiers signes de faiblesse. Et les mauvaises nouvelles vont arriver.
La convention générale État-sidérurgie de 1966 confirme la suppression de 15 000 postes sur cinq ans. En 1971, c’est au tour du groupe Wendel-Sidélor d’annoncer 10 650 suppressions d’emplois. En 1979, les deux hauts fourneaux de Longwy sont arrêtés, 1 200 salariés se retrouvent sur le carreau. « Pendant toute cette période, les militants de la CFDT ont toujours gardé le même cap : faire de la Lorraine un territoire où on peut vivre et travailler », insiste Alain Gatti.
Le virage vers des industries nouvelles
Dès 1969, la CFDT Lorraine revendique ainsi un virage de son industrie lourde vers des industries de pointe (chimie, électronique), des industries en expansion (automobile) et celles pour lesquelles des débouchés existent (machines-outils). Dans le même temps, elle agit sur la formation des salariés. En 1971, elle entend en faire un outil au service des travailleurs. Lors du Plan acier (1979) comme aux Assises de la planification (1983), la CFDT Lorraine défend un syndicalisme de propositions souvent en avance sur son temps.
Et, dans les années 1990, elle demande la mise en place d’une cellule de reconversion régionale. Entre octobre 1994 et mars 1996, elle s’investit pleinement dans l’initiative lorraine pour l’emploi (ILE) qui débouchera sur la création de 2 000 emplois directs et indirects. Lors de la crise de 2008, dans le cadre des accords de chômage partiel qui sont négociés localement, elle contribue à ce que 15 000 salariés de 938 PME « soient formés plutôt que licenciés ».
Entre 2013 et 2017, la CFDT Lorraine porte et défend bec et ongles le Pacte Lorrain – acquis du combat de Florange – et son volet social, en particulier le comité tripartite (dont elle a obtenu la mise en place), qui prévoit de faire de la Lorraine le cœur d’une vallée européenne des matériaux et de l’énergie. Avec succès encore une fois, ce sont 906 projets fléchés « reconquêtes industrielles » qui sont financés, avec à la clé la création de 3 703 emplois et le maintien de 6 370 autres.
« Il faut sortir les fourneaux de la tête des Lorrains », déclarait en son temps Jacques Chérèque, militant emblématique de la CFDT Lorraine, ancien numéro 2 de la CFDT et père de François Chérèque. « Il y a trente ans, quand j’ai évoqué la reconversion du bassin lorrain, j’ai été hué et insulté. Aujourd’hui, le Président rend hommage au travail que nous avons mené. Nous avons juste eu raison trop tôt. »
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