“Nous avons travaillé des dizaines d’années sans connaître les risques”

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iconeExtrait de l’hebdo n°3938

À la clinique Saint-Hilaire de Rouen, la section CFDT a fait de la santé des salariées une de ses priorités. Sous son impulsion, ce sont notamment des mesures de prévention du cancer du sein qui vont être mises en œuvre.

Par Claire Nillus— Publié le 22/10/2024 à 12h00

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© Syndheb

« J’ai travaillé comme infirmière de nuit pendant vingt-deux ans dans cette clinique. Jamais on ne m’avait parlé du risque accru de cancer du sein chez les femmes qui travaillent la nuit ! », s’exclame Muriel Charpentreau, secrétaire du CSE de la clinique Saint-Hilaire de Rouen (Seine-Maritime / Normandie). Lors d’une journée de formation sur le sujet organisée par la CFDT Santé-Sociaux en avril dernier, elle a pris connaissance des diverses études qui le confirment : les femmes ayant travaillé la nuit ont 30 % de risques en plus de déclarer ce type de cancer.

Un ajout de grande importance au Duerp

1. Document unique d’évaluation des risques professionnels.

La prise de conscience lui a fait l’effet d’une énorme claque. « Nous avons travaillé des dizaines d’années sans connaître les risques. Cela ne devrait plus être possible, une femme ne devrait pas faire toute sa carrière professionnelle en travaillant la nuit ! », s’indigne la militante. Pour que ce risque soit désormais pris en compte au sein de l’établissement, la section a commencé par demander que le Duerp1, bien trop sommaire à ce sujet, soit dûment complété. Le travail de nuit y était juste évoqué comme « soin » et non comme facteur de risque. « C’est maintenant écrit noir sur blanc dans un paragraphe dédié au personnel de nuit », se satisfait Muriel. Cet ajout n’a rien d’anecdotique car il a permis de sensibiliser la direction sur les dangers du travail de nuit et le dérèglement de l’horloge biologique qui régit notamment le sommeil et l’alimentation.

La CFDT est allée plus loin sur le terrain de la prévention et a obtenu une formation pour les salariées de nuit afin de les aider à mieux dormir, mieux se nourrir, apprendre à faire des microsiestes… Prochaine étape : elle souhaite que l’on puisse favoriser le dépistage du cancer du sein en permettant à toutes les femmes qui travaillent à la clinique de bénéficier d’une mammographie réalisée sur place. L’idée consiste à remédier au manque de médecins dans la région ou à la difficulté de trouver un rendez-vous en ville quand on travaille en douze heures et ainsi offrir la possibilité d’un suivi régulier. La proposition est à l’étude.

Nommer les risques psychosociaux

La mise à jour du Duerp porte aussi sur la manière dont sont inscrits les risques psychosociaux. Là encore, le document est insuffisant. « Nous insistons afin que soit détaillé tout ce qui ne l’est pas : les risques psychosociaux sont invariablement assimilés à du stress. Mais de quoi parle-t-on ? Le stress d’avoir raté son bus ou celui d’avoir un patient mort au bloc ? Cela n’a rien à voir… Il faut préciser tout cela. Nous avons fait, et nous continuerons à le faire, des propositions de rédaction en ce sens », poursuit Muriel. La CFDT a également obtenu que soit mentionnée dans le Duerp la charge mentale supportée par les élus du comité social et économique. Une réunion annuelle (a minima) avec la direction des ressources humaines pour faire le point devrait être programmée.

« Un bilan s’impose, ne serait-ce qu’au sujet de nos heures de délégation, confirme Isabelle Gentien, la déléguée syndicale. En tant que secrétaire ou trésorière du CSE, poser une journée reste dans l’ordre des possibles ; c’est beaucoup plus difficile pour les suppléants, bien que notre accord de dialogue social nous permette de mutualiser les heures entre élus, titulaires et suppléants. Il y a toujours un “oui mais…” quand on demande une journée dédiée au CSE. J’explique que l’on s’absente, d’accord, mais on le fait pour nous, pour défendre nos intérêts. Ce n’est pas toujours bien compris mais on ne se laisse pas faire. »

Faire respecter la fiche de poste

Pour en arriver là, la CFDT, seule organisation syndicale de la clinique, a d’abord dû gagner la confiance de la direction ainsi que celle des salariés. Rien de moins simple dans cette entreprise familiale du secteur privé lucratif (223 lits, 547 salariés) peu encline au rapport de force. « Encore maintenant, il faut faire beaucoup de pédagogie auprès des salariés, car s’ils nous parlent de leurs difficultés, beaucoup souhaitent généralement en rester là. Selon eux, la hiérarchie demeure toute puissante. »

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Claire Nillus
Journaliste

La section est donc particulièrement attentive aux risques psychosociaux, « qui ne font qu’augmenter ». Dans de nombreux cas, les conflits naissent d’une inadéquation entre le travail effectué et la fiche de poste. « Remplir un bon en urgence pour le laboratoire parce que le médecin n’a pas eu le temps de le faire, soulager la douleur d’un patient qui a des complications postopératoires en l’absence du chirurgien et se le voir reprocher ensuite… Cela arrive tout le temps ! » Autant de gestes supplémentaires qui empiètent sur le temps disponible pour bien faire son travail et autant de soins dont seuls les médecins sont responsables. Les alertes répétées du CSE à propos de ces dépassements de tâches ont enfin porté leurs fruits : une circulaire, effective depuis le 30 septembre, met fin à ces pratiques et rappelle les médecins à l’ordre. « Nous poursuivons toujours le même objectif : prendre soin de nous et de notre métier dans un établissement qui emploie plus de 80 % de femmes. Tout récemment, nous avons obtenu la crèche d’entreprise que nous réclamions depuis des années », se réjouit Muriel. Elle ouvrira dans quelques semaines avec une amplitude horaire adaptée à celle du personnel (en douze heures, donc). Les femmes enceintes commencent à s’inscrire. Un beau cadeau de naissance… siglé CFDT.