“Nous avons obtenu 20 % d’augmentation de salaire depuis 2017”

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iconeExtrait de l’hebdo n°3944

Dès sa création, en 2017, la CFDT des Maîtres laitiers du Cotentin a gagné la confiance des salariés en créant un véritable rapport de force avec la direction. Une petite révolution dans cette société familiale devenue l’un des principaux employeurs de la région.

Par Claire Nillus— Publié le 03/12/2024 à 13h00

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© Syndheb

La Normandie et ses verts pâturages, ce n’est pas qu’une image de carte postale. La filière lait y fait son beurre AOP. Créée en 1986, la coopérative Les Maîtres laitiers du Cotentin, dont le siège se trouve à Sottevast (Manche / Normandie), est aujourd’hui leader européen de la production de fromages frais pour la restauration, la moyenne et la grande distribution. Répartie dans trois sites normands entièrement automatisés, la production mobilise 1 171 emplois à temps plein. Voilà pour l’image.

Côté syndical, il a fallu attendre l’arrivée de Julien Destienne, en 2016, pour que les salariés soient enfin mieux défendus face à un syndicat FO inopérant et une direction peu encline au dialogue social. À 32 ans, ce conducteur de machines a poussé la porte de la maison des syndicats de Cherbourg afin de créer sa section syndicale. Il avait décelé trop d’injustices sociales et voulait s’engager afin de corriger le tir. « J’ai préféré les valeurs de la CFDT. Avant de contester, on propose de négocier, ça m’a plu », dit-il. « J’ai commencé par me renseigner sur internet, j’ai parlé de la CFDT avec des adhérents dans d’autres boîtes. Et puis plusieurs rencontres avec d’autres militants, dont le secrétaire général du Syndicat agroalimentaire de la Manche, m’ont conforté dans ma décision. »

Une progression ininterrompue de la CFDT

Il prépare alors ses listes pour les élections professionnelles de 2017, que la CFDT remporte haut la main avec 65 % des voix. « Trouver des candidats ? Cela s’est fait sans problème grâce à un travail de terrain. Sur mon temps libre, en profitant des pauses des uns et des autres ou bien en entamant une discussion avec un conducteur pendant que sa machine tournait… On trouvait toujours quelques minutes pour échanger entre deux réglages, rapporte le délégué syndical. Comme les salariés n’avaient jamais été approchés par FO, ils ont tout de suite été réceptifs à l’idée qu’un nouveau syndicat s’implante ici ! » En 2020, la section cartonne de nouveau en obtenant 79 % des voix ; en 2023, son score grimpe encore, avec 83 % des suffrages en sa faveur.

La CFDT est maintenant solidement implantée avec ses douze titulaires et ses douze suppléants au CSE, mais aussi ses 10 % d’adhérents. « C’est le résultat du bras de fer que nous avons engagé avec la direction. FO était là depuis vingt ans et, pendant vingt ans, il ne s’est rien passé. En tout cas, rien dans l’intérêt des salariés », poursuit Julien. L’arrivée de la CFDT a changé la donne. « NAO après NAO, nous avons obtenu 20 % d’augmentation de salaire depuis 2017. » À cela il faut ajouter la prime Macron (pour laquelle la section a organisé une grève en 2021) et, tout dernièrement, après un nouveau débrayage, en octobre dernier, de nouvelles avancées ; en l’occurrence, 110 euros nets mensuels supplémentaires sur la fiche de paie des salariés postés, 98 euros pour les autres, ainsi qu’un accord mieux-disant relatif à l’intéressement et un nouvel accord de participation qui n’existait pas.

Les bénéfices de la solidarité syndicale

Depuis la création de la section CFDT, il y a eu quatre grèves et huit débrayages, « du jamais vu ici ». La méthode s’inscrit toutefois dans une stratégie bien pensée. « Pas question de faire la grève si celle-ci n’aboutit pas, affirme Nathalie, membre du CSE. Nous travaillons un produit frais. Si la production s’arrête, les milliers de litres de lait collectés chaque jour sont perdus. Nos grèves durent deux ou trois jours au maximum, et la direction est obligée de venir négocier car elle ne peut pas les vendre à la concurrence ; elle est coincée ! » Coincée car, dans quatre des cinq sociétés de la filière lait de Normandie, la CFDT est majoritaire. Si l’une d’elles se met en grève, les autres montent à leur tour des piquets de grève visant à empêcher que les livraisons de lait en provenance des Maîtres laitiers se fassent chez eux. « Comment expliquer aux producteurs sociétaires de la coopérative que leur travail peut finir à la poubelle ? Notre employeur est obligé d’accepter de discuter, poursuit Julien. Cette solidarité entre sections syndicales constitue un formidable levier pour agir sans se brûler les ailes. »

« On gagne aussi parce que ce que nous demandons est possible », précise Marina, également déléguée syndicale. Ainsi, la section a dénoncé une pratique aberrante qui perdurait depuis des années : les salariés qui acceptaient de ne pas prendre leur pause avaient droit à une prime journalière. « On a mis l’inspection du travail et la médecine du travail dans la boucle. Ils nous ont donné raison. Mais on a dû faire grève pour forcer notre employeur à renoncer à cet usage des primes et, à la place, nous avons pu négocier de meilleures rémunérations. » Julien cite également les bénéfices réalisés par la coopérative depuis la loi EGalim de 2018, qui a permis de dégager entre 15 et 20 % de marge supplémentaire sur les ventes de produits à la grande distribution. Cela méritait bien un effort de l’entreprise en matière d’intéressement et de participation…

1. Commission santé, sécurité et conditions de travail.

Majoritaires au sein de la CSSCT1, les militants CFDT ont pu contribuer à l’amélioration d’un certain nombre de points critiques : moins de ports de charges, formation sur le travail en hauteur et la manipulation d’outils lors du nettoyage du matériel, achat des équipements de protection individuelle manquants (gants, lunettes, tabliers de protection). Depuis un an, une tournée mensuelle des ateliers, en présence d’un cadre responsable, dans chaque site, a été également négociée.

Actuellement, les militants sont surtout préoccupés par l’explosion des risques psychosociaux et les démissions en cascade dans certains services. En 2018, ils ont réussi à faire partir une directrice qui maltraitait beaucoup trop de monde. « Après son départ, les tensions se sont apaisées… et des cadres nous ont même félicités pour notre action : ils n’arrivaient pas à se débarrasser de cette personne ! », sourit Julien.

“On m’a proposé un chèque pour partir”

« En 2021, c’est le directeur de l’usine qui a craqué : il a écrit à Laurent Berger et au ministère du Travail pour demander qu’on me supprime mes mandats ! Un peu plus tard, on m’a proposé un chèque pour partir. Une autre fois, ce fut une promotion en contrepartie de mes mandats… un comble ! », affirme-t-il. « La direction cherche toujours un moyen de nous affaiblir. En promouvant trois de nos militants récemment, dont Marina, mon homologue, les ressources humaines pensent que ceux-ci auront moins de temps pour faire du syndicalisme… »

À propos de l'auteur

Claire Nillus
Journaliste

Cela n’a pas empêché la section CFDT d’accueillir de nouvelles recrues, telle Audrey, qui milite à la CFDT depuis un an ; Claire, élue en 2023 comme suppléante au CSE ; Jean-Jacques, embauché il y a quinze ans et militant depuis un an ; Marie, qui a rejoint l’équipe en 2023. Chaque mardi, ils assurent à tour de rôle la permanence du CSE et, chaque jeudi, ils consacrent du temps syndical afin d’aller à la rencontre des salariés sur le terrain ou étudier ensemble le contenu des accords en cours d’élaboration. En 2025, ils veulent pouvoir négocier, pour la première fois, un accord de dialogue social. « Finalement, petit à petit, nous faisons comprendre à la direction que le dialogue social est une bonne chose pour l’entreprise ! »