Milee, anatomie d’une chute

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iconeExtrait de l’hebdo n°3934

Le leader de la distribution publicitaire Milee a été brutalement placé en liquidation judiciaire, le 9 septembre. L’entreprise n’a su ni anticiper ni s’adapter à la baisse constante (et programmée) du marché du prospectus publicitaire. Au total, elle laisse sur le carreau quelque 10 000 salariés, en majorité très précaires.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 24/09/2024 à 12h00

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© Stéphane Audras/RÉA

Le tribunal de commerce de Marseille l’affirme dans son jugement du 9 septembre : il n’avait d’autre choix que de prononcer la liquidation judiciaire de l’entreprise Milee (ex-Adrexo), pourtant premier opérateur privé de distribution publicitaire (prospectus, catalogues, etc.) et employant quelque 10 000 salariés (environ 3 500 équivalents temps plein). L’accumulation de dettes depuis plusieurs années avait rendu la trésorerie exsangue. À ce stade, aucune poursuite d’activité ou projet de reprise n’était envisageable. « Nos difficultés ne datent pas d’hier. L’an dernier, nous avions d’ailleurs émis des droits d’alerte économiques à deux reprises. Mais la direction n’a pas réagi suffisamment tôt. On a continué à accumuler les dettes et à s’enfoncer de plus en plus », dénonce Didier Pistone, le délégué syndical CFDT de l’entreprise.

Naufrage de grande ampleur

Un premier PSE, qui prévoyait la suppression de 3 500 emplois, avait été annoncé en mars 2024. Mais avant qu’il ait pu être mis en place, et compte tenu des difficultés persistantes, la direction de Milee avait demandé une mise en redressement judiciaire le 30 mai. La période d’observation devait durer six mois, le temps de trouver un éventuel repreneur. Une « manifestation d’intérêt » s’est d’ailleurs produite, portée par un groupe de trois investisseurs (qui misait sur la reprise de l’activité et de 2 200 salariés) ; malheureusement, faute de trésorerie (le projet nécessitait de trouver 50 millions d’euros) et de temps, le projet n’a pu aboutir. Face à une situation financière catastrophique, la liquidation pure et simple de l’entreprise a donc dû être prononcée. « Nos salaires d’août 2024 ne pouvaient même pas être payés », souligne le représentant CFDT.

Une grave crise du secteur…

Comment en est-on arrivé là ? Selon la CFDT, il ne fait aucun doute que « le manque d’anticipation de la direction » a largement contribué à provoquer ce naufrage. Alors que la crise du secteur de la distribution d’imprimés publicitaires nécessitait, à tout le moins, de revoir le modèle économique et de miser sur la diversification. De fait, le marché a fondu de presque 50 % en seulement cinq ans : de 10,4 milliards d’imprimés en 2019, on est tombé à 5,7 milliards en 2023. Le dispositif « Oui pub », prévu par la loi Climat et résilience d’août 2021, n’est pas étranger à cette chute vertigineuse, puisque désormais, dans quatorze territoires d’expérimentation, sans l’autocollant « Oui pub » apposé sur les boîtes aux lettres, aucun prospectus ne peut être légalement distribué. La distribution de catalogues publicitaires se révèle également en perte de vitesse, certaines enseignes de la grande distribution telles que E. Leclerc ou JouéClub ont choisi de réduire ou de cesser ces publications. La hausse du prix des matières premières comme le papier, de l’énergie ainsi que la hausse des coûts du transport ont évidemment contribué à rendre les choses plus difficiles.

… Et une très mauvaise gestion

Le contexte économique difficile et la crise du secteur n’expliquent pas tout. Pour Didier Pistone, « la mauvaise gestion de la direction » a été un facteur aggravant. Il évoque le terrible fiasco qu’a connu l’entreprise en 2021 à l’occasion de la distribution des propagandes électorales relatives aux élections régionales et départementales. Un énorme cafouillage avait privé un grand nombre d’électeurs des professions de foi des candidats ; l’entreprise a non seulement perdu le contrat du ministère de l’Intérieur, mais son image en a été nettement dégradée – au point qu’elle a préféré changer de nom : Adrexo est ainsi devenu Milee.

La grande précarité des salariés

Outre la brutalité avec laquelle les événements se sont enchaînés, c’est « le lâchage complet des salariés, alors même que ces salariés sont parmi les plus précaires », que dénonce Marlyse Volochinoff, secrétaire nationale de la F3C (Fédération Communication, Conseil, Culture). Beaucoup de ces salariés sont des retraités ou des personnes ayant de tout petits contrats (quatorze heures par semaine en moyenne), « pour qui la distribution de prospectus permettait d’avoir un petit complément de revenu… et parfois tout simplement de manger », souligne Marlyse. Faute de trésorerie, aucun accompagnement ni aucune aide en matière de formation ou de reconversion ne sont prévus.

À propos de l'auteur

Emmanuelle Pirat
Journaliste

La fin dramatique de cette entreprise vient en tout cas souligner l’importance d’anticiper au maximum les transitions et la nécessité d’accompagner les salariés, comme le revendique la CFDT – l’exact inverse de la politique désastreuse de Milee…