“Les salariés de Duralex ont désormais un vrai pouvoir de décision”

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iconeExtrait de l’hebdo n°3932

Après des mois d’incertitude, les 228 salariés de Duralex ont sauvé leurs emplois grâce à un projet de Scop largement porté par la CFDT. Si le défi consistant à relancer la machine est immense, les salariés – qui, désormais, cumulent les statuts de salarié et d’associé – ont retrouvé le moral.

Par Anne-Sophie Balle— Publié le 10/09/2024 à 12h00

Vasco Da Silva, secrétaire du CSE, et Suliman El Moussaoui, délégué syndical CFDT, dans la salle de contrôle de l’usine Duralex de La Chapelle-Saint-Mesmin.
Vasco Da Silva, secrétaire du CSE, et Suliman El Moussaoui, délégué syndical CFDT, dans la salle de contrôle de l’usine Duralex de La Chapelle-Saint-Mesmin.© Emmanuelle Marchadour

1. Société coopérative de production, anciennement société coopérative ouvrière de production.

Oubliée, la peur d’un avenir dévasté et de destins professionnels brisés. Ce 5 septembre au matin, à La Chapelle-Saint-Mesmin (Loiret / Centre-Val de Loire), les salariés de Duralex sont d’humeur joyeuse. Le 26 juillet dernier, trois mois tout juste après le placement de l’entreprise en redressement judiciaire, le tribunal d’Orléans a validé le projet de Scop1 parmi les trois offres de reprise mises sur la table. Aujourd’hui, l’entreprise appartient à ses 228 salariés. Loin d’être une solution de repli, cette Scop a été portée de bout en bout par les élus CFDT et la direction, avec le soutien des salariés. Dans son bureau, François Marciano, le directeur général du site, l’avoue d’ailleurs sans tergiverser : « S’il n’y avait pas eu la CFDT avec moi, je ne l’aurais pas fait. »

Il se souvient du choc de l’annonce, un soir d’avril 2024. Très vite, il a fallu réagir, trouver un repreneur. Mais les premiers échanges ne sont pas rassurants. « La seule chose que l’on m’a répondue, c’est de baisser le salaire de mes salariés, notamment au conditionnement. “2 100 euros ? Mais ce sont des petites mains, il faut les payer au Smic, Monsieur Marciano !”, m’ont-ils dit. Il était hors de question que je leur laisse les clés de la boîte. Et c’est là qu’est venue l’idée de la Scop… »

La force du réseau

La direction se tourne alors vers la CFDT, majoritaire au sein de l’entreprise et seule organisation syndicale à voir dans ce projet une réelle opportunité. « On a fait fonctionner le réseau CFDT, alerté la fédération chimie énergie et l’Union départementale Loire-Centre, qui nous ont mis en relation avec l’Urscop. Ce sont elles qui nous ont accompagnés et soutenu depuis le début sur la partie opérationnelle, en nous apportant leur éclairage sur la manière d’élaborer le projet de reprise », résume le délégué syndical Suliman El Moussaoui.

De fait, il a fallu expliquer aux salariés dans quoi ils s’engageaient. « Ce n’est pas rien de reprendre une entreprise collectivement, explique Florence Delacroix, responsable développement à l’Urscop Île-de-France, Centre-Val de Loire et Outre-mer. Avec eux, nous avons abordé les notions techniques de capital social, d’actionnariat, de résultat, le tout dans un souci de pédagogie, d’égalité et d’intégration de tout le monde, quel que soit le métier. »

2. Économie sociale et solidaire.

3. L’entreprise en a connu six en moins de trente ans, dont le dernier en 2022.

Les salariés, qui pour beaucoup ne connaissaient rien à l’univers de l’ESS2 et des Scop, ont été échaudés par les redressements judiciaires successifs3 et ont compris la nécessité d’en finir avec l’actionnariat classique. Ils ont rapidement adhéré au projet de Scop, et 138 d’entre eux ont décidé de contribuer (à hauteur de 500 euros chacun) afin de devenir sociétaires et d’entrer ainsi dans le capital.

Dominique, cariste de métier et élu CFDT, fait partie de ceux-là. « Ce qui est intéressant, c’est de savoir que l’argent reste dans l’entreprise. » Il a très mal vécu la dernière reprise par la Maison française du verre, fin 2020-début 2021, « qui n’a fait aucun investissement et n’a pas hésité, dès les premiers mois, à verser des dividendes aux actionnaires ». Surtout, renchérit Vasco Da Silva, conducteur de four depuis dix ans chez Duralex et secrétaire du CSE, « il y a un conseil d’administration élu par les salariés, ce qui veut dire qu’ils ont un vrai pouvoir de décision. C’est plus démocratique. D’ailleurs, certains salariés ont adhéré à l’esprit de la Scop précisément parce que cela leur permettait de s’impliquer dans leur entreprise et de contribuer à son fonctionnement ».

Repartir d’une page blanche

Aujourd’hui, la coopérative Duralex repart en quelque sorte d’une page blanche, admettent les salariés, rassurés d’avoir sauvé leurs emplois. « Nous sommes heureux car nous gardons l’ensemble des emplois, dont beaucoup étaient menacés dans mon service avec les autres projets de reprise », résume Laure Cerandon, responsable du conditionnement et adjointe CFDT. Comme les autres “Duralexiens” elle se dit prête à faire perdurer le savoir-faire qui fait le rayonnement de l’emblématique verrerie et à relever les défis que va devoir relever l’entreprise. « On est prêts à mettre les bouchées doubles, s’il le faut, pour retrouver des marchés, lancer de nouvelles gammes et faire en sorte que l’aventure continue ! »

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

Le 2 septembre, une première collaboration a vu le jour avec le lancement d’un partenariat de soutien avec Le Slip français. Baptisée « Allons enfants de la cantine ! », en référence à l’iconique Gigogne® qui équipe les cantines scolaires françaises, l’opération vise à sensibiliser les consommateurs aux vertus du Made in France. Les commandes, depuis l’annonce de la reprise en Scop, connaissent un boom historique. Côté syndical, la section CFDT – née en 2021 et devenue majoritaire dès les premières élections professionnelles – compte désormais douze élus et une trentaine d’adhérents. « Nous avons de nombreux sympathisants, et cette aventure collective que nous venons de vivre nous fait dire que le pas de l’adhésion sera rapidement franchi », sourit Suliman.