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Extrait de l'hebdo n°3955
Le 26 février, la Commission européenne a présenté son projet de directive visant à “simplifier” la vie des entreprises. Or ce texte remet en cause de nombreuses normes sociales et environnementales et percute les ambitions du Pacte pour une industrie propre présenté le même jour – un recul sans précédent dénoncé par quatre syndicats français dont la CFDT.

« Une erreur historique majeure » : la CFDT, la CGT, la CFE-CGC et l’Unsa n’y vont pas par quatre chemins lorsqu’elles évoquent les orientations prises par la Commission européenne dans le cadre du paquet législatif omnibus. Celui-ci promet de revoir les règles du Pacte vert européen en « simplifiant […] les exigences de l’UE à l’égard de l’ensemble des entreprises ».
Pour reprendre les mots employés par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, « nos […] premières propositions omnibus limitent radicalement les obligations de déclaration relatives à ce triangle magique qui se compose de la taxonomie, de la directive sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et de la directive sur la diligence raisonnable des entreprises en matière de développement durable (CSDDD) ». Il s’agit donc ni plus ni moins de s’asseoir, entre autres, sur la directive reporting de durabilité, qui vise à améliorer la transparence et la comparabilité des informations concernant la durabilité des organisations, transposée à la fin 2023 et devant donner lieu à l’information et à la consultation du CSE depuis le 1er janvier 2025, et sur la directive devoir de vigilance, adoptée en mai 2024, qui introduit des obligations pour les grandes entreprises relatives aux incidences négatives de leurs activités sur les droits de l’homme et la protection de l’environnement. Sous couvert de rationalisation, c’est donc le cœur et l’esprit du modèle européen qui sont remis en question.
Un renoncement de l’Union aux droits humains
Voilà une hérésie que déplorent les organisations syndicales du fait d’un recul du modèle européen et d’une « harmonisation par le bas » : « Le texte présenté aujourd’hui, sous couvert de déréglementation guidée par la compétitivité […], affaiblirait l’obligation pour les entreprises d’agir sur l’impact de leurs activités sur l’environnement et les droits humains tout au long de la chaîne de sous-traitance. Le démantèlement des avancées obtenues lors de la précédente mandature constituerait un renoncement aux droits humains, pourtant au fondement de l’Union. »
Parmi les mesures pointées du doigt par l’intersyndicale, la limitation du devoir de vigilance aux seules filiales et partenaires de rang un (dont l’effectif est supérieur à 500 salariés) « permettrait le contournement de ses dispositions par le recours systématique à des intermédiaires et exclurait les fournisseurs de la chaîne d’approvisionnement les plus sujets aux violations des droits humains et environnementaux ». Les organisations syndicales s’inquiètent également des conséquences de la remise en cause de la directive relative au devoir de vigilance, un texte « qui portait une réelle ambition écologique et sociale pour l’Union européenne en engageant concrètement les entreprises vers une conduite responsable des entreprises partout dans le monde ».
Autres griefs des signataires à l’encontre de la Commission européenne : la négation du dialogue social et le non-respect du processus démocratique dans l’élaboration du processus. « Ce projet a fait l’objet d’une consultation partielle et partiale, tandis que de nombreuses ONG spécialisées favorables au Pacte vert n’ont pas été consultées. »
Une gouvernance tripartite des politiques industrielles
Il serait pourtant grand temps d’en terminer avec une aussi fâcheuse tendance, d’autant plus que les cartes de la géopolitique mondiale sont redistribuées et que les États-Unis ont justement l’Union européenne et son modèle dans leur viseur. « L’Europe se trouve à un tournant historique : nous devons faire face à un grand nombre de défis géopolitiques, sociaux, économiques et sociétaux », a rappelé la CFDT en amont de la préparation du Pacte pour une industrie propre, lui aussi présenté le 26 février par la Commission européenne.
Si les orientations de ce Pacte en matière de décarbonation et de compétitivité vont dans le bon sens, la CFDT rappelle la nécessité d’un dialogue social de qualité et d’une gouvernance tripartite pour définir la stratégie industrielle concernant l’avenir de l’Europe, encourager la création de filières industrielles européennes et participer à définir l’attribution des fonds européens mais aussi surveiller qu’ils soient utilisés efficacement et contribuent à la réindustrialisation du territoire européen. Il va de soi que l’attribution de ces fonds devra être conditionnée par des créations d’emplois et la qualité de l’emploi. L’enjeu est de taille au vu de la somme allouée (100 milliards d’euros) et de la densité de la feuille de route fixée par la Commission européenne. Celle-ci prévoit une loi pour accélérer la décarbonation de l’industrie au quatrième trimestre 2025, la mise en place d’une loi sur les matières premières circulaires au premier trimestre 2025, la création d’un centre d’achats communs de matières premières d’ici à la fin de l’année 2026 ou encore d’engager une réflexion sur une TVA verte en 2026.
De nouvelles ressources sont indispensables
S’agissant de mener à bien ces objectifs et les financer, la CFDT estime que l’on est encore loin du compte et qu’il y a nécessité de trouver de nouvelles ressources. Une bataille qui s’annonce très difficile. « Il faut avoir le courage politique de mettre enfin en place des mesures de taxation juste sur les grandes fortunes, les transactions financières et les entreprises multinationales », insiste la CFDT. Le rapport de Mario Draghi portant sur la compétitivité estime les besoins d’investissements autour de 800 milliards d’euros. Les 100 milliards d’euros proposés par la Commission ainsi que le fléchage de différents fonds européens ne suffiront pas à combler l’ensemble des besoins. Par ailleurs, les nouvelles règles de gouvernance économique adoptées l’année dernière n’offriront que peu de marge de manœuvre aux États membres. La route est encore longue qui verra l’Union européenne être à la hauteur des enjeux sociaux et écologiques auxquels elle est confrontée.