Assurance chômage et emploi des seniors : les accords décryptés

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iconeExtrait de l’hebdo n°3942

Au terme d’une négociation marathon, syndicats et patronat sont parvenus à s’entendre sur les nouvelles règles d’assurance chômage et l’emploi des seniors – deux accords distincts mais intimement liés, auxquels s’est ajouté un troisième texte actant la suppression des trois mandats consécutifs. Le Bureau national va se prononcer le 21 novembre sur ces trois textes pour lesquels la délégation CFDT donne d’ores et déjà un avis favorable.

Par Anne-Sophie Balle et Jérôme Citron— Publié le 19/11/2024 à 13h00

De gauche à droite : Olivier Guivarch, secrétaire national et chef de file CFDT, et Yvan Ricordeau, secrétaire général adjoint de la CFDT.
De gauche à droite : Olivier Guivarch, secrétaire national et chef de file CFDT, et Yvan Ricordeau, secrétaire général adjoint de la CFDT.© Syndheb

Depuis le début, on disait ces négociations enchâssées. Elles l’auront été jusqu’à la toute fin des discussions. Tard dans la nuit du 14 novembre, au terme d’une longue journée de pourparlers, syndicats et patronat ont abouti à trois accords relatifs à l’assurance chômage, à l’emploi des seniors et à l’évolution du dialogue social. Ces trois textes, chacun à son niveau, démontrent que le dialogue social, dès lors qu’on lui laisse toute sa place, porte ses fruits. Après des années de relations tendues avec l’exécutif et l’échec de la négociation Pacte de la vie au travail, ces accords ont un petit goût de revanche. Les partenaires sociaux, pour beaucoup, savourent l’instant. « Faire aboutir ce cycle de négociations de manière positive était nécessaire pour faire la démonstration que le dialogue social reste le meilleur moyen d’aborder les enjeux économiques et sociaux, et montrer notre capacité à définir des règles communes », résumera d’ailleurs la délégation CFDT à l’issue de l’ultime séance.

1. Union des entreprises de proximité.

Il revient désormais à l’ensemble des organisations de consulter leurs instances afin de décider d’apposer ou non leur signature au bas desdits accords. Côté syndical, la CFDT a d’ores et déjà émis un avis favorable en attendant la décision définitive du Bureau national, le 21 novembre ; la CFTC a fait savoir, le 18 novembre, qu’elle signerait les trois accords ; FO doit encore réunir ses instances avant de se positionner. Côté patronal, il semble également acquis que le Medef et l’U2P1 parapheront les trois documents. En revanche, les autres organisations ne devraient avaliser qu’un ou deux des trois textes.

Un avenant à l’accord de novembre 2023

Concernant l’assurance chômage, le texte prend la forme d’un avenant à la convention de novembre 2023 – les signataires de l’époque (CFDT, CFTC et FO) ayant estimé qu’il était judicieux, dans le court délai qu’il leur était imparti, de finaliser le travail et d’aboutir à une convention complète plutôt que de repartir d’une page blanche. Maintenues, donc, les dispositions de l’automne 2023 prévoyant de faire passer à cinq mois la durée minimale d’affiliation pour les primo-demandeurs d’emploi et les saisonniers. Maintenue également, la révision de la formulation du salaire journalier de référence (SJR), légèrement plus favorable aux contrats précaires, tout comme la mensualisation du versement de l’allocation. L’avenant introduit en revanche une modification de dernière minute : le décalage de la fin de la contribution exceptionnelle des employeurs (passée de 4 % à 4,05 % en 2017). Initialement prévue jusqu’au 1er janvier 2025, celle-ci serait finalement prolongée jusqu’au 1er mai 2025…

Frontaliers et filière seniors, deux ajouts importants

Considérant le « manque à gagner » pour le régime français d’assurance chômage que représente, en l’état actuel, la réglementation européenne, les partenaires sociaux ont convenu d’appliquer aux travailleurs frontaliers un coefficient correcteur tenant compte des différences de niveau de salaire moyen entre l’État d’emploi et l’État de résidence – ce qui modifie donc à la baisse le niveau d’indemnisation. Néanmoins, ce coefficient (réévalué annuellement) ne pourra « conduire au versement d’une allocation inférieure à l’allocation minimale », précise le texte. En parallèle, et dans une logique de dynamisation des parcours de retour à l’emploi, les organisations syndicales et patronales demandent à France Travail de mettre en place un accompagnement et un suivi personnalisé des demandeurs d’emploi frontaliers, et une révision de ce que doit être l’offre raisonnable d’emploi.

2. Elle permet une indemnisation plus longue des demandeurs d’emploi compte tenu de leur difficulté accrue à retrouver un emploi.

Au sujet de la filière seniors2, les partenaires sociaux sont parvenus à finaliser leurs travaux laissés en suspens à l’automne dernier. In fine, l’entrée dans cette filière devrait être décalée de deux ans, avec une durée maximale d’indemnisation de 22,5 mois à partir de 55 ans (contre 53 ans auparavant) et de 27 mois à partir de 57 ans (contre 55 ans auparavant). De la même manière, l’avenant propose de décaler de deux ans (soit à partir de 55 ans) l’allongement de la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi en cas de formation, toujours dans la limite de 137 jours. À la demande des organisations syndicales, le texte final précise que ces dispositions supposent la mise en place effective de la loi retraites de 2023… Autrement dit : si la réforme tombe, ces dispositions tomberont elles aussi.

Une négociation obligatoire et deux entretiens pros

Du côté de l’emploi des seniors, le chemin semblait périlleux après l’échec de la négociation Pacte de la vie au travail, au printemps dernier. Le projet d’accord « en faveur de l’emploi des salariés expérimentés » trouvé ce 14 novembre contient plusieurs avancées, estime la délégation CFDT. « Nous avons obtenu de nouveaux droits », résume ainsi son chef de file, Olivier Guivarch. Ainsi, afin d’améliorer le dialogue social dans les branches et les entreprises en ce qui concerne l’emploi des seniors, l’accord crée une négociation obligatoire spécifique tous les trois ans dans les branches professionnelles et les entreprises de plus de 300 salariés. Le texte liste même les thèmes de cette négociation (le recrutement, la fin de carrière, la transmission des savoirs, la santé, etc.). À défaut d’accord, les entreprises seront encouragées à mettre en place un plan d’action seniors après consultation des élus du personnel.

L’accord crée aussi deux entretiens professionnels. Le premier, qui doit se tenir l’année des 45 ans du salarié, est censé se dérouler juste après la visite médicale de milieu de carrière. L’idée est d’aborder avec le salarié la suite de sa carrière et d’évoquer la question de l’usure professionnelle dans une logique de prévention. Le second entretien professionnel est prévu en fin de carrière (dans les deux ans qui précèdent l’atteinte des 60 ans). Ce rendez-vous a vocation à instaurer un dialogue sur la question de la retraite. À cette occasion, le salarié pourra par exemple être sensibilisé à des dispositifs de fin de carrière comme le temps partiel ou la retraite progressive.

Retraite progressive dès 60 ans

La possibilité de prendre une retraite progressive dès 60 ans (au lieu de 62 ans aujourd’hui) fait d’ailleurs partie des acquis importants de l’accord pour les salariés. Notons que l’employeur pourra s’opposer à ce qu’un salarié bénéficie de ce dispositif, mais il devra motiver son refus par écrit. Pour rappel, la retraite progressive est un dispositif qui permet à un salarié de réduire son temps de travail en bénéficiant d’une partie de sa retraite en vue de compenser le manque à gagner. Contesté par l’ensemble des organisations syndicales de salariés mais exigé par le patronat, le CDI senior (officiellement rebaptisé « contrat de valorisation de l’expérience ») est bien présent dans le projet d’accord mais il est très encadré. Il s’agit d’une expérimentation d’une durée de cinq ans. Concrètement, une entreprise pourra proposer un CDI spécifique à un demandeur d’emploi de 60 ans. L’employeur connaîtra au moment de l’embauche âge auquel le salarié senior jouira de ses droits à la retraite et pourra le mettre à la retraite d’office à cette date. Le patronat n’a pas obtenu gain de cause relativement à son exigence d’exonérations de charges dans le cadre de ce nouveau contrat.

« Cet accord ne résoudra pas tout sur la question de l’emploi des seniors, mais cela n’a jamais été notre objectif, résumait Yvan Ricordeau, secrétaire général adjoint de la CFDT. L’objectif, c’est de créer un double déclic, chez les employeurs comme chez les salariés, et de changer la façon d’aborder cette thématique dans les entreprises et les branches. » Cet accord est aussi, peut-être, la première étape d’une reprise en main plus large de ce qui constituait originellement le Pacte de la vie au travail. « Que cela soit sur l'usure professionnelle avec la concertation à venir sur les aménagements de la réforme des retraites ou sur les reconversions professionnelles, la ministre ayant déjà indiqué qu'un rendez-vous aurait lieu au tout début de l’année 2025. Une “COP travail” que la CFDT a largement poussée », conclut le négociateur. 

Un ANI sur la fin de la limitation des mandats

Cela avait été un des points évoqués en toute fin de négociation Pacte de la vie au travail. La suppression de la limite des trois mandats successifs prévus par les ordonnances de 2017 est finalement revenue dans la dernière ligne droite des discussions, sans que cette revendication ne parvienne à trouver sa place au sein de l’accord relatif aux travailleurs expérimentés. Aussi fait-il finalement l’objet d’un troisième accord national interprofessionnel (ANI). Par ce projet d’accord additionnel, les partenaires sociaux prévoient donc la suppression de cette limite dans le code du travail et s’engagent à ouvrir en 2025 une négociation portant sur la valorisation des parcours syndicaux. Le sujet, qui fait l’unanimité côté syndical, devrait être signé par tous les partenaires sociaux à l’exception de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME).