L’Equilibriste

iconeExtrait du magazine n°509

Des années Canal+ à France Inter, il nous fait rire depuis trente ans. Mais pas à n’importe quel prix. Pour rassembler, pas pour diviser. Pour dire des choses sans les imposer. Un jeu d’équilibriste subtil. Cette année, on le retrouve au théâtre avec ses deux compères de toujours, Olivier Saladin et Bruno Lochet : la bande des Deschiens. Rencontre.

Par Claire Nillus— Publié le 01/01/2025 à 10h11

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© Cyril Badet

Comédien, chanteur, compositeur, chroniqueur radio, humoriste… Comment définissez-vous votre métier ?

Je me décris volontiers comme un artiste fantaisiste, avec un petit côté Robert Lamoureux des années 50 ! Ce que je préfère, c’est monter sur scène. Bien sûr, l’écriture de mes chroniques me prend du temps. C’est parfois compliqué d’arriver à quelque chose qui me plaît vraiment, qui soit proche de ce que j’ai voulu raconter et que je puisse me dire : « Tiens ! Je suis d’accord avec moi-même et ce n’est pas trop mal rédigé. » Je suis surtout comédien, et plus à l’aise sur une scène.

Vous avez grandi dans un environnement où la culture n’était pas vraiment une évidence. Vous êtes-vous perçu comme un transfuge de classe ?

Pas vraiment car là où j’ai grandi, nous étions à peu près tous du même niveau. Et il n’y avait aucune frustration, j’ai mangé à ma faim, je partais en vacances l’été, ce n’était pas Zola. Certes, mes parents avaient de petits salaires, ma mère était dactylo à mi-temps et mon père cheminot, mais ils tenaient beaucoup à ce que nous montions dans l’ascenseur social et que nous fassions des études, que nous devenions profs ou employés de banque.

Alors, comment est venue l’idée de faire du théâtre ? Et d’en faire votre métier ?

Nous avions la salle des fêtes. Y jouer des sketchs, avoir un trac fou et immédiatement après l’envie de recommencer, ça m’a plu. Au sein des petites villes, dans les années 70, il y avait aussi les « Mille Clubs », des maisons de la jeunesse et de la culture. C’est là que j’ai commencé, à Flers, à jouer au théâtre en amateur et à écrire des sketchs. Je m’inspirais de Roland Dubillard, ce comédien me faisait beaucoup rire – et c’est toujours le cas.

“Il ne faut pas rechercher la notoriété mais plutôt l’émotion sur scène, la rencontre avec l’autre… Ces principes m’ont nourri toute ma vie.”

Ma mère pensait que je ferais du théâtre « en plus » d’un métier « normal ». Mais après une maîtrise de lettres, j’ai eu envie de monter sur scène et j’ai été admis à l’École [d’arts dramatiques] de la rue Blanche, en 1981. Guy Bedos, Jean Rochefort ou encore Jean-Pierre Marielle étaient passés par là ; quels formidables acteurs ! J’avais choisi cette école parce qu’elle était gratuite. J’occupais un mi-temps comme pion dans une école de Caen et je faisais des allers-retours entre Caen et la gare Saint-Lazare. À cette époque, l’on pouvait encore rêver sa vie…

Comment donner envie à des gens qui pensent que le théâtre, ce n’est pas pour eux ?

Il faut parler, donner confiance, expliquer ce qu’est ce métier, qu’il ne faut pas rechercher la notoriété mais plutôt l’émotion sur scène, la rencontre avec l’autre… Ces principes m’ont nourri toute ma vie. Récemment, à Taverny (Val-d’Oise), nous avons organisé la répétition d’un spectacle avec des jeunes, ils ont adoré. Il y a toujours des gens qui pensent que le théâtre, ce n’est pas pour eux, mais c’est le contraire. Il faut arriver à les décomplexer.

“Les Deschiens, ce n’était pas un projet sociologique, c’était une troupe de théâtre.”

On vous connaît depuis Les Deschiens, il y a trente ans. N’y avait-il pas une forme de cruauté à se moquer de ce que l’on désigne comme des « petites gens » ?

Les Deschiens, ce n’était pas un projet sociologique, c’était une troupe de théâtre. J’avais vu des spectacles de Jérôme Deschamps à Caen
et je les trouvais très novateurs.

Comme Les Frères Zénith [mise en scène: Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps], qui met en scène quatre clochards drôles et poétiques. Nous avons joué très longtemps et partout dans le monde cette pièce minimaliste et touchante. Une fois, la baronne Philippine de Rothschild –les Rothschild, l’une des familles les plus fortunées de France!– était dans la salle. À la fin du spectacle, elle est venue me voir et m’a dit: «C’est merveilleux ce spectacle parce que c’est nous.» Je me suis dit que toute Rothschild qu’elle était, elle aussi devait se demander parfois ce qu’elle faisait sur Terre et y chercher du rêve.

De même, Les Deschiens, c’étaient nous. Et puis, c’était drôle. Je n’ai jamais eu l’impression de me moquer des pauvres, d’autant que je viens d’une famille modeste. Dans nos sketchs, chacun s’inspirait de sa campagne, de son enfance. Et quand les gens me parlent des Deschiens, c’est en général parce qu’ils en ont de bons souvenirs.

Selon vous, jusqu’où peut-on aller dans l’humour ? Quelle est votre limite ?

C’est assez simple : quand c’est drôle, ça passe ; sinon, non. Il faut que ce soit une évidence, ne pas s’acharner. C’est casse-gueule, le métier d’humoriste. On peut se tromper, être à côté. L’humour n’est pas une valeur au-dessus des autres. Sur le service public, j’ai toujours eu le souci que des gens qui ne votent pas forcément comme moi aient tout de même envie de m’entendre et d’écouter ma chronique jusqu’au bout sans se dire : « Si c’est lui, je ne veux rien savoir. » Pour cela, il faut surprendre à chaque fois. Mais, parfois, je ne suis pas drôle volontairement car j’ai envie de dire des choses graves. Je ne veux pas rire à tout prix, et tout ne me fait pas rire.

Êtes-vous inquiet pour la liberté d’expression en France ?

Le monde est devenu grave, sérieux. Avant, il y avait des humoristes qui faisaient rire tout le monde. Bourvil, DeFunès, Fernand Raynaud ou Raymond Devos faisaient rire le public français dans sa diversité, les gens qui votaient à droite comme à gauche.

Je pense, par exemple, à un sketch de Fernand Raynaud sur un étranger qui ferme boutique parce qu’on lui dit qu’il mange le pain des Français. Conséquence: les gens du village n’ont plus de pain à manger; il était boulanger! Comme une fable, ce genre de sketch populaire servait à faire passer des idées généreuses sur lesquelles on pouvait être d’accord et faire nation ensemble… Je rêve de faire rire tout le monde, comme c’est encore le cas parfois au théâtre. Mais même si j’essaie de parler à tout le monde, tout le monde ne vient pas au théâtre.

Dans la série Baron noir, vous avez marqué les esprits en jouant un homme politique qui occupait la même place que Jean-Luc Mélenchon dans l’arc républicain. Pourriez-vous, de même, jouer un homme politique de droite ?

Mon rôle, c’est d’incarner des personnages. Celui que j’interprète dans cette série est extrêmement riche, retors, intelligent, contradictoire, et j’ai eu beaucoup de plaisir à le personnifier. Je pourrais tout aussi bien jouer un personnage d’extrême droite, seulement j’aimerais mieux jouer un type de droite dans un projet de gauche qu’un type de gauche dans un projet de droite…

Depuis plus de vingt ans, vous êtes engagé dans l’association Partage avec les enfants du monde, qui travaille avec des ONG locales spécialisées dans l’aide à l’enfance. Pourquoi avoir choisi cette association ?

À propos de l'auteur

Claire Nillus
Journaliste

Elle permet de s’occuper d’un enfant en particulier. L’argent que l’on donne bénéficie directement à cet enfant pour améliorer son quotidien, lui permettre d’acheter des crayons, des livres, etc. C’est très concret et cela peut changer des vies. Par le biais de l’association, j’ai aussi vécu des expériences inédites de parrainage. J’ai pu entrer en relation avec des jeunes comédiens en Haïti qui avaient besoin d’échanger sur leur travail. Ils étaient en demande d’un regard, d’une reconnaissance, qu’on leur manifeste de l’intérêt. Je suis toujours heureux de pouvoir faire cela.