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Extrait de l’hebdo n°3943
Le travail peut-il jouer un rôle important dans la lutte contre la pauvreté ? À l’occasion des 30 ans du collectif Alerte, la CFDT a participé, aux côtés d’autres personnalités politiques et associatives, aux débats sur ce sujet dans l’enceinte du Conseil, économique, social et environnemental.
1. Conseil économique, social et environnemental.
Cela pourrait passer pour une évidence. Pourtant, l’emploi n’est pas forcément un remède contre la pauvreté. C’est sur ce sujet qu’ont débattu, le 22 novembre dernier au Cese1, à l’occasion du 30e anniversaire du collectif Alerte, membre du Pacte du pouvoir de vivre, la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, la déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, Anne Rubinstein, la présidente d’ATD Quart Monde, Marie-Aleth Grard, la directrice générale de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), Nathalie Latour, et l’économiste Michaël Zemmour.
Le travail, dans la mesure où il procure un salaire et permet de tisser des relations sociales et amicales, est aux yeux de la CFDT un remède contre la pauvreté. Pourtant, reconnaît Marylise Léon, dans certains secteurs – le médico-social et le bâtiment, en particulier –, le travail est aussi cause de maladies professionnelles, physiques et/ou mentales, « qui peuvent constituer le point de bascule vers la précarité ».
Deux millions de travailleurs pauvres en France
En outre, les contrats précaires et les bas salaires font que la France compte aujourd’hui 2 millions de travailleurs pauvres. « Au deuxième trimestre 2024, plus de 6 millions de contrats de travail ont été signés. Près de 70 % sont des CDD de moins d’un mois. Plus d’une femme sur quatre travaille à temps partiel, et c’est encore plus compliqué pour les familles monoparentales dont les difficultés s’accumulent très vite », illustre la secrétaire générale de la CFDT. « Enfin, 17 % des salariés sont payés au Smic, majoritairement des femmes, souvent employées à temps partiel, travaillant dans des secteurs tels que les services, l’hôtellerie-restauration. Dans les officines de pharmacie, quinze échelons de salaire sont en dessous du Smic. Autrement dit, ces travailleurs restent des années dans une même entreprise, évoluent en compétences mais ne voient pas leur salaire augmenter. » Pour que chacun puisse vivre dignement de son travail, beaucoup de réponses relèvent donc des entreprises (les types de contrats proposés, les évolutions de carrière, l’égalité entre les femmes et les hommes, les salaires…).
Anne Rubinstein confirme : les politiques publiques ne peuvent pas tout. Les acteurs économiques doivent s’emparer de la question. Les entreprises devraient notamment pouvoir repérer et orienter les travailleurs pauvres vers les structures qui peuvent leur venir en aide afin d’améliorer leur situation. Par exemple, proposer une formation professionnelle aux salariés allophones. Dans le dessein de mieux les accompagner, la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté réfléchit d’ailleurs à la mise en place d’une charte d’engagements spécifiques avec les entreprises au sujet des travailleurs pauvres.
Un modèle d’entreprises plus inclusives et plus solidaires
De son côté, ATD Quart Monde expérimente depuis quelques années de nouvelles formes d’entreprises plus inclusives, plus solidaires avec les personnes touchées par la précarité et la grande précarité. Chez Travailler et apprendre ensemble (TAE), des personnes très éloignées de l’emploi sont embauchées en contrat à durée indéterminée. « Ça permet de se projeter », explique Marie-Aleth Grard. Elles œuvrent au quotidien avec d’autres salariés sans difficultés particulières mais qui font le choix d’être compagnons chez TAE pendant deux ou trois ans. « Tous les salariés ont le même rôle, les uns et les autres apprennent ensemble, explique Marie-Aleth Grard. Nous expérimentons dans cette entreprise une autre forme de gouvernance », par laquelle l’on réfléchit ensemble, au jour le jour. TAE propose d’ailleurs aux entreprises qui le souhaitent des formations à ce nouveau modèle de gouvernance.
Selon Nathalie Latour, la question centrale qui se pose aujourd’hui est celle de l’accès aux droits. La santé, le logement, « ce que l’on appelle aujourd’hui des freins périphériques à l’emploi sont pour nous des leviers. On ne peut pas, par exemple, concevoir la question de l’emploi sans une politique de logement ambitieuse », explique la directrice générale de la FAS. En d’autres termes, « si l’on n’investit pas dans les autres politiques publiques convergentes, l’emploi ne sera pas un remède contre la pauvreté ». Il faut par ailleurs penser les politiques publiques en partant des besoins des personnes, sans les stigmatiser. Les expérimentations en cours relatives à l’accompagnement des allocataires du RSA montrent que « lorsqu’on investit du temps et de l’argent et que l’on va le plus tôt possible vers la personne, ça fonctionne », poursuit Nathalie Latour.
L’emploi ne peut être le seul remède
D’après Michaël Zemmour, l’emploi ne doit surtout pas être « le remède » contre la pauvreté. Il déplore en effet que, depuis quinze ans, les politiques sociales et les politiques de lutte contre la pauvreté sont très cantonnées à la politique de l’emploi « et ce, à leur détriment ». « Aujourd’hui, la politique du marché du travail est devenue à la fois l’outil et la condition de lutte contre la pauvreté. Le risque est de faire de l’emploi le seul remède. Car pour lutter efficacement contre la pauvreté, ce que nous dit la recherche, c’est qu’il existe plusieurs remèdes. » Même si le chômage est évidemment un facteur déterminant de pauvreté…