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Extrait de l’hebdo n°3949
Le Conseil économique, social et environnemental organisait, le 15 janvier, une journée d’échanges à propos des impacts du réchauffement climatique sur la santé des travailleurs. “Trop chaud pour travailler”, le documentaire du réalisateur Mikaël Lefrançois, a servi de base au débat.
Quels sont les impacts du réchauffement climatique sur le travail et les travailleurs ? À cette question encore trop peu documentée et médiatisée, le Cese a souhaité consacrer une séance exceptionnelle, le 15 janvier dernier. « Oui, le réchauffement climatique a d’ores et déjà des conséquences très concrètes sur le travail et les travailleurs. Et il ne s’agit pas seulement de la canicule mais aussi d’autres événements comme les tempêtes, les inondations, les incendies, la perte de la biodiversité… », résumait Sophie Thiéry, présidente de la commission Travail et emploi du Cese, en introduction de la journée. « Le sujet n’est pas encore suffisamment traité dans le dialogue social et la négociation. Nous devons par ailleurs l’aborder autrement, sortir de la gestion de crise, du traitement de ses conséquences pour véritablement engager des politiques de prévention. »
Une atteinte des limites du corps humain
1. Ce documentaire a été diffusé sur la plateforme Arte.tv pendant l’été 2023.
Mieux que tous les discours, le documentaire « Trop chaud pour travailler »1, projeté aux participants, a planté le décor et défini les enjeux. « Dans certains endroits du globe, les travailleurs sont déjà exposés à des températures qui frôlent les limites du corps humain », indique le réalisateur Mikaël Lefrançois, dont le film entraîne le spectateur dans un tour du monde qui permet de constater les effets délétères (voire mortels) des chaleurs extrêmes. En Italie auprès de salariés d’un centre de tri ; au Qatar avec des ouvriers des chantiers du bâtiment qui tombent comme des mouches. Au point qu’une législation a dû être édictée afin d’interdire le travail extérieur pendant les mois d’été entre 10 heures et 15 h 30.
L’enquête se poursuit aux États-Unis, suivant des livreurs d’UPS qui, parfois, sont pris de malaise sous l’effet des 50 °C relevés dans leurs camions non climatisés ; mais aussi au Nicaragua ou au Salvador, avec les coupeurs de canne à sucre, chez lesquels le stress thermique intense a entraîné des insuffisances rénales mortelles. Des centaines d’ouvriers ont d’ailleurs péri dans ces pays, et les rescapés sont obligés de subir des dialyses extrêmement coûteuses. « La chaleur renforce les inégalités sociales. Les plus précaires, les moins qualifiés sont les plus exposés », enchaîne Mikaël Lefrançois.
Les pays tempérés, à l’instar de la France, ne sont désormais plus épargnés par les épisodes caniculaires. Mais du fait de ce climat tempéré, le sujet reste un impensé. D’ailleurs, à ce jour, la législation française n’a intégré aucune mesure concernant l’adaptation des horaires ou des conditions de travail pendant les épisodes de chaleur.
Un nouveau facteur de risque aggravant
Dans ce qui est encore en France une sorte de territoire juridique inoccupé, l’initiative de la filière viticole – présentée aux participants lors de la journée d’échanges au Cese, dans la foulée du documentaire – se révèle particulièrement intéressante (lire l’encadré). La prise en compte du réchauffement climatique comme « nouveau facteur de risque sur la santé au travail », selon Cyril Cosme, directeur du bureau de l’OIT à Paris, est donc urgente. Et ce, d’autant plus que « ce facteur a ceci de particulier qu’il aggrave tous les autres risques, par exemple l’exposition aux produits toxiques ou cancérigènes ».
Alerte dans la filière viticole
On se souvient des vendanges endeuillées de septembre 2023 lors desquelles plusieurs saisonniers étaient décédés à la suite de fortes chaleurs. Le choc avait déclenché, chez certains vignerons, la volonté d’étudier sérieusement les risques du réchauffement climatique sur la santé des travailleurs du secteur, et une enquête Clisève© (Climat et santé au travail), menée en 2024 en partenariat avec la CFDT Agri Agro (lire Syndicalisme Hebdo 3931 daté du 3 septembre 2024, « La filière vin s’inquiète de l’impact du réchauffement climatique sur les conditions de travail »).
Chiffres à l’appui, cette enquête souligne l’urgence de mettre en place des mesures préventives afin de préserver la santé des travailleurs, bien sûr, mais aussi parce qu’il y va de la pérennité de la filière puisque 85 % des saisonniers déclarent qu’ils pourraient quitter leur poste et 45 % des vignerons abandonner la filière d’ici à cinq ans. « L’étude appelle à une mobilisation collective pour préserver l’attractivité et la pérennité économique de la filière vin », résume Franck Tivierge, secrétaire national de la CFDT Agri Agro.
S’appuyant sur cette étude, la fédération élabore actuellement un baromètre national de la santé climatique au travail dans le monde agricole. « Il permettra de mieux objectiver, de suivre et d’anticiper les impacts du changement climatique sur la santé au travail dans le monde agricole, tout en intégrant les spécificités métiers et territoriales », espère Caroline Véran, coautrice de l’enquête.