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Extrait de l'hebdo n°3962
Depuis 2016, les inspecteurs du travail disposent d’outils supplémentaires pour sanctionner les employeurs. L’Inspection générale des affaires sociales, dans un récent rapport, constate qu’ils sont encore largement sous-utilisés. Pas étonnant, juge la CFDT, qui continue de réclamer des moyens juridiques et humains à la hauteur des risques encourus en milieu de travail.

Parfois, la pédagogie ne suffit pas. Informer, conseiller, concilier, contrôler : les missions de l’inspection du travail avaient été étendues sous l’impulsion du ministre du Travail Michel Sapin. Dans le sillage de sa vaste réforme de l’inspection du travail, en 2014, l’ordonnance du 7 avril 2016 relative au contrôle de l’application du droit du travail a conféré de nouveaux pouvoirs aux agents de contrôle : extension des décisions d’arrêt d’activité à de nouveaux risques et secteurs d’activité ; renforcement des mesures de protection des mineurs ; création des amendes administratives et des amendes pénales transactionnelles (qui offrent la possibilité de transiger sans passer par la justice)… Ces mesures ont été à l’époque bien accueillies par la CFDT.
« Avant la réforme de 2014, nous étions l’un des seuls pays d’Europe où les agents de l’inspection du travail ne pouvaient pas appliquer de sanctions administratives. Ainsi, un automobiliste pouvait être sanctionné pour excès de vitesse par une amende mais pas un employeur pour une infraction au code du travail ! C’est une revendication de longue date de la CFDT, et nous avons favorablement accueilli cette ordonnance », explique Niklas Vasseux, secrétaire général adjoint du Syndicat national travail emploi formation (Syntef CFDT). Dans une enquête réalisée par ce syndicat en 2018, 75 % des agents interrogés estimaient que ces compétences renforçaient leur crédibilité en tant qu’autorité disposant d’un pouvoir de sanction.
De nombreuses difficultés opérationnelles
De ces mesures la DGT1 avait prévu de faire le bilan au bout de dix ans afin d’évaluer, notamment, leur impact sur la santé et la sécurité des travailleurs. Or, presque une décennie plus tard, le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), rendu public le 11 avril dernier, est catégorique : globalement, l’utilisation de ces nouvelles prérogatives sur le terrain reste « modeste voire négligeable » pour certaines d’entre elles. L’Igas met ainsi en évidence les nombreuses difficultés opérationnelles qui plombent leur mise en œuvre : lourdeurs procédurales, délais d’instruction trop longs, manque de formation des agents quant à l’appropriation de ces outils…
L’institution n’a relevé que onze arrêts d’activité en 2023, deux retraits de mineurs affectés à des travaux dangereux, 223 propositions de transactions pénales et 2 287 décisions d’amendes administratives. Parfois, les chiffres sont même inférieurs à ceux des années précédentes. Le nombre de transactions pénales a été divisé par trois depuis 2019, les procès-verbaux chutent de 25 % et ne représentent que 1,7 % des suites après intervention d’un agent de contrôle.
2 000 inspecteurs pour 23 millions de salariés
L’extension des arrêts de travaux à d’autres secteurs que le BTP a tout de même été bien utilisée. « C’est une action concrète et immédiate. Malheureusement, en l’état actuel du droit, elle est encore circonscrite à quelques situations de travail, précise Niklas Vasseux. Par exemple, l’utilisation d’une machine dangereuse ne donnera pas lieu à une interdiction d’utilisation ; tout au plus, l’employeur sera mis en demeure de vérifier sa conformité ou d’effectuer les réparations nécessaires. »
Quant aux amendes administratives, si elles ont connu « un développement encourageant » d’après l’Igas, rapportées aux 2 000 agents présents sur le terrain en 2023, cela revient à une amende par inspecteur et par an (1,14 exactement). C’est peu, quand bien même les agents de contrôle misent toujours d’abord sur l’aspect dissuasif de leur intervention avant de sanctionner.
Une extension des amendes administratives
D’autant que « ce type de sanction n’est mobilisable que pour de petites infractions (absence de décompte de la durée du travail, défaut d’affichage obligatoire, manque d’équipements de protection, de registre du personnel, de vestiaires…) », insiste Niklas Vasseux. « En lien avec le changement climatique, il faudrait pouvoir sanctionner rapidement les entreprises dans lesquelles les travailleurs sont exposés à de fortes chaleurs sans mesures adaptées. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. »
La CFDT demande donc l’extension des amendes administratives à toutes les infractions qui impactent le quotidien des travailleurs ainsi que la simplification de leur traitement. « Tant qu’il n’existera pas une politique pénale du travail claire et rapide, ces nouveaux pouvoirs resteront sous-exploités, conclut-il. Enfin, il est évident qu’accorder plus de moyens juridiques sans les effectifs nécessaires pour les appliquer en limite leurs effets. »
Le manque de moyens, fil rouge des revendications des agents
« Je ne suis pas surpris par les conclusions du rapport, dit Michel2, agent de contrôle de la région Centre-Val de Loire. Entre les consignes qui renforcent nos pouvoirs et la réalité de terrain, c’est le grand écart. Il y a, selon les départements, une totale déconnexion entre les outils qui sont mis à notre disposition et nos besoins pour les mettre en œuvre. » De fait, comme partout dans la fonction publique, les effectifs sont en chute libre (moins 30 % depuis 2009), et les recrutements de 2023 n’ont pas couvert tous les départs.
« Dans ma région, moins d’agents, cela signifie plus de temps sur les routes et moins de temps dans les entreprises. En cas d’arrêt de travaux, il faut pouvoir retourner une deuxième fois sur le chantier pour la procédure de reprise. Si ce n’est pas possible, il arrive que l’on doive renoncer à l’arrêt de travaux… Dans ces cas-là, notre principal outil, ça reste notre force de persuasion. » Michel évoque aussi le manque de budget concernant l’essence ou l’achat de nouvelles chaussures de sécurité… « Alors, oui, cette enquête de l’Igas va nous servir car elle répond à certaines de nos revendications, qui sont anciennes, et va dans le sens de ce que nous demandons. Mais, au-delà des procédures, l’efficacité de nos missions reste entièrement corrélée aux moyens que l’on nous donnera. »
Alors que le nombre d’accidents du travail ne baisse pas et que l’on continue de déplorer deux morts par jour au travail dans notre pays, il est difficile d’imaginer que l’on puisse garantir la santé et la sécurité des travailleurs avec moins de 2 000 agents pour 4 millions d’entreprises et 23 millions de salariés.