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Extrait de l’hebdo n°3950
La fin de l’année 2024 a marqué un tournant dans le dialogue social au sein de La Poste. Abandonnant les instances issues du droit de la fonction publique, l’entreprise a, pour la première fois de son histoire, mis en place des comités sociaux et économiques (32 au total pour 170 000 postiers). Si la CFDT attendait beaucoup de cette “révolution”, sa mise en œuvre s’avère chaotique et ardue pour les militants.
Il souffle un vent de déception voire de franche inquiétude chez les militants CFDT de La Poste. « Le passage en CSE est chaotique », résume Laurent Faivre, représentant syndical (RS) au CSE central. Ce qui devait être un « changement de paradigme dans le dialogue social » avec le passage en CSE semble virer au cauchemar.
1. Le périmètre concerné était celui de La Poste maison mère (avec la branche courrier et colis et les bureaux de poste), qui compte désormais 70 % de salariés de droit privé et 30 % d’agents publics. La Banque Postale et Geopost (livraison de colis en France et à l’international) étaient déjà pourvus de CSE.
Mais sans doute faut-il revenir un peu en arrière afin de mieux comprendre. Jusqu’à l’année dernière, le système de représentation au sein de l’entreprise, pour les 170 000 postiers, relevait d’un mix un peu bancal fondé sur le droit de la fonction publique – avec des comités techniques (CT) – et sur le droit du travail, avec des comités d’hygiène, de santé et de sécurité (CHSCT). Ces deux modalités étant devenues obsolètes – les CHSCT ont été dissous par les ordonnances Macron de 2017 et les CT ont également disparu et ont été transformés en comités sociaux d’administration (CSA) depuis la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique –, il était devenu urgent de se remettre « dans les clous »1.
Deux ans de négociation
Le chantier de renégociation des accords d’entreprise (dix au total, dont deux relatifs à l’architecture des futures instances et à leurs moyens et un concernant l’exercice du droit syndical) s’avère titanesque puisqu’il faut absolument tout revoir. Pas moins de deux années seront nécessaires pour venir à bout d’un tel chantier, à un rythme effréné de réunions : « Tôt le matin, tard le soir… et souvent les week-ends ! », précise Aline Guérard, cheffe de file de l’équipe des négociateurs CFDT. Avec une difficulté : « Il fallait que l’on négocie quelque chose que l’on ne connaissait pas, y compris côté direction. » Organisée en groupe de travail et accompagnée de bout en bout par le cabinet d’avocats Brihi-Koskas & associés, et en particulier Me Roger Koskas, l’équipe de négociateurs s’est lancée à corps perdu dans l’aventure (parfois au détriment de la santé des membres qui la composent), réussissant à arracher des mesures supralégales : la création de commissions spécifiques, emploi-formation ou environnement, ou l’attribution de moyens en formation pour les représentants de proximité. Soulignons que la CFDT a obtenu le quota, jugé satisfaisant, d’un représentant de proximité pour cent salariés.
Des attentes en matière de dialogue social
À l’époque de la négociation, la perception que la CFDT avait de cette transformation était positive. Les militants voyaient des opportunités à cette création de nouvelles instances représentatives. L’arrivée des CSE avec leurs modalités de fonctionnement cadrées (par exemple les procédures d’information-consultation sur différents thèmes tels que les orientations stratégiques de l’entreprise) ouvrait des perspectives. « Auparavant, nous n’avions pas d’espace de dialogue sur ces questions. Nous faisions de l’enregistrement. Nous avions les informations et les chiffres qu’on voulait bien nous donner. Nous allons désormais pouvoir nous appuyer sur les données de la BDESE [base de données économiques, sociales et environnementales] mais aussi sur la possibilité de recourir à un expert pour engager un vrai dialogue et peser sur les choix de l’entreprise », expliquait, en juillet 2024, Marlyse Volochinoff, secrétaire nationale, lors d’un entretien à Syndicalisme Hebdo. Un point important alors que le groupe La Poste engage une profonde transformation de son modèle économique du fait de la chute de l’activité courrier et la recherche d’autres activités.
Un syndicalisme d’engagement
Un autre changement de règles, concernant les conditions de validité des accords, accompagnait la mise en place des CSE : lesdits accords devront désormais être signés par des organisations syndicales représentant une majorité de salariés, soit 50 % et non plus seulement 30 %. Là encore, de cette « révolution » les militants attendaient beaucoup. « C’est un profond changement de logique qui va obliger les organisations syndicales à être plus responsables, à négocier des compromis. Avec la règle des 50 %, la responsabilité de chacune sera engagée dès lors qu’il s’agira de valider ou non des accords portant des avancées pour les travailleurs », confiait Stéphane Chevet, administrateur salarié du groupe La Poste, lors d’une rencontre en septembre 2024 avec les équipes La Poste d’Île-de-France, en campagne électorale. Les militants CFDT y voient l’occasion d’en finir avec « le syndicalisme de protestation pour développer un syndicalisme d’engagement ».
Les ASC désormais gérées par les CSE
Autre point positif attendu de cette transformation : le transfert de la gestion des activités sociales et culturelles aux 32 CSE – soit un budget de 130 millions d’euros par an, sans compter la restauration ! « Historiquement, les ASC étaient gérées par la direction avec une noria d’associations. Ce fonctionnement était particulièrement opaque. Désormais, ce sont les élus des CSE définiront et proposeront une offre d’activités sociales et culturelles correspondant aux besoins des postiers », expliquait Marlyse Volochinoff, en précisant que la mise en œuvre complète s’achèvera en janvier 2026, le temps, notamment, de préparer la bascule des comptes.
Bien sûr, en ce début d’année 2025, il est trop tôt pour tirer un bilan complet du passage en CSE. Les élections qui ont installé ces nouvelles instances ont eu lieu en octobre 2024. La CFDT est d’ailleurs arrivée en tête. On est donc dans une période d’installation, mais les premiers échos sont plus que réservés.
“Comment on va faire ?”
La baisse drastique des moyens attribués aux élus se fait particulièrement sentir. « Au niveau national, on estime qu’on a perdu 30 % des moyens. Pour mon syndicat, en Bourgogne-Franche-Comté, nous sommes descendus de 7 équivalents temps plein à 0,7 ETP, explique Laurent Faivre. Le temps attaché au mandat est largement sous-dimensionné, il ne prend pas en compte les conditions réelles d’exercice. Par exemple, il ne tient pas compte de tous les “temps cachés” – les temps de déplacement, informels ou de préparation des réunions. » De fait, à l’issue de leurs entretiens de prise de mandat avec la direction, les élus se sont retrouvés avec des temps syndicaux ridiculement restreints au regard de leurs missions. « J’ai des appels d’élus qui me disent : “Comment on va faire ? On ne va pas s’en sortir !” », alerte Laurent.
Selon ce militant, il y a clairement « un décalage entre les objectifs des accords et leur mise en œuvre. On a l’impression que l’entreprise applique a minima et de manière restrictive ces accords. » Avec un risque de « dialogue social dégradé ». Laurent parle même d’« hiver du dialogue social ». Il y a donc urgence à « retrouver un fonctionnement constructif », non seulement pour une meilleure qualité de dialogue social mais aussi « parce qu’il y va de la santé de nos élus ». Et le militant CFDT de souhaiter « qu’il y ait un printemps du dialogue social à La Poste, que l’on trouve une manière constructive et réaliste de travailler ensemble ». Un vœu qui, il l’espère, sera entendu par la direction.