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Extrait de l'hebdo n°3961
Les militants CFDT du Centre scientifique et technique du bâtiment dénoncent un modèle de gouvernance, sous tutelle de l’État, qui n’est plus adapté à son fonctionnement. Aujourd’hui, 85 % du chiffre d’affaires est concurrentiel, et la dotation de l’État est très réduite. Pourtant, le CSTB garde une gouvernance d’un autre temps… et le dialogue social en pâtit.

Opéra de Paris, Mont-Saint-Michel, RATP… : aujourd’hui, la France compte plus d’une centaine d’établissements publics à caractère industriel et commercial (Épic). Fortement développées dans l’après-guerre, ces structures relèvent d’un modèle juridique hybride unique au monde alliant une gouvernance publique (nationale ou territoriale), qui lui permet de remplir des missions de service public, et des salariés souvent très qualifiés, à plus de 90 % sous contrats de droit privé. Or ces bras armés de la puissance publique sont aujourd’hui pleinement exposés à la déroute des budgets de l’État. Ce modèle est donc questionné : faut-il le réformer ou l’abandonner ? Cette problématique, les militants CFDT du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) la connaissent bien ; ils sont venus en débattre à la fin mars dans les locaux parisiens de la CFDT.
Fondé en 1947 afin d’accompagner par la recherche la reconstruction des logements d’après-guerre, le CSTB compte aujourd’hui plus de mille salariés répartis dans quatre sites et a pour mission d’imaginer les bâtiments et la ville de demain sous la tutelle du ministère du Logement. Près de 85 % de son chiffre d’affaires est concurrentiel, et la dotation de l’État s’avère très réduite (16,3 millions d’euros sur 120 millions de chiffre d’affaires consolidé en 2024), et d’ailleurs en baisse en 2025.
Une gouvernance de l’État très dirigiste
Selon la dizaine d’élus CFDT présents à Paris fin mars (ils sont 25 dans les différentes instances du CSTB), l’État reste très dirigiste dans le modèle de gouvernance1, et le dialogue social en pâtit. « En matière de dialogue social, nous avons les inconvénients des deux mondes (public et privé) sans aucun avantage, déplorent les militants. Nous devenons de plus en plus une entreprise commerciale et de moins en moins un établissement public ; les règles qui s’appliquent entravent notre développement, nous empêchant par exemple de recourir à l’emprunt. »
Plusieurs audits récents ont révélé un fort développement des risques psychosociaux. Les salariés pointent l’accroissement continu de la production dans un contexte de sous-investissement chronique, la perte de la cohésion d’entreprise et le sentiment de vivre un véritable conflit de valeurs. Les exigences en matière de productivité ne correspondent plus à leur engagement initial dans leur métier d’évaluation et de recherche. Viscéralement attachés à la qualité du service rendu, les salariés sont confrontés à des conditions de travail qui la rende de plus en plus compliquée à obtenir.
Un réel malaise parmi les salariés
En tant que première organisation syndicale du CSTB, « la CFDT remonte le malaise ambiant dans toutes les instances où elle siège, mais sans être écoutée. La pression exercée par la direction se traduit par un réel malaise. Les instances de représentation du personnel ne sont plus que des chambres d’enregistrement, et le droit d’alerte en matière de santé et de conditions de travail est régulièrement mis en cause. Les délégués et élus CFDT sont clairement visés », dénonce Étienne Thienpont, délégué syndical national CFDT du CSTB. « Dernièrement, la direction nous a interdit l’usage de la messagerie interne et de ses outils numériques afin de diffuser les tracts, mécontente des dernières communications qui la plaçait devant ses contradictions. Elle ne montre aucune appétence à accéder à notre demande de négociation d’un accord de droit syndical ; elle ne veut pas discuter et encore moins négocier. »
Négociations annuelles obligatoires au rabais
Évidemment, quand le dialogue social est empêché, c’est le pouvoir d’achat des salariés qui en pâtit. « Le CSTB affiche des résultats très positifs. Pour la première fois depuis sa fondation, il a dépassé le cap des 100 millions d’euros de produits hors filiales en 2024. Le CSTB a acquitté plus de 3 millions d’euros d’impôt sur les sociétés au cours des cinq dernières années mais la politique salariale ne répercute pas les succès engrangés », explique le militant. Le CSTB est aujourd’hui une entreprise industrielle concurrentielle qui maintient une activité de recherche et développement sous-dotée par l’État.
« L’absence d’investissements de l’État actionnaire – qui ne pourvoit pas à la remise à niveau de l’outil industriel – transforme notre situation en cauchemar. Les salaires finissent par financer les investissements sur l’outil, maintenir des capacités de R&D, financer le développement de manière quasi autarcique. Avec l’inflation, les salariés ont perdu du pouvoir d’achat, et le phénomène est accentué par la prépondérance des augmentations individuelles voulue par l’employeur », poursuit Étienne Thienpont. Tant et si bien que lors des dernières NAO2, la CFDT a fini par quitter la table des négociations. « La direction poursuit sa politique d’austérité et d’appauvrissement au travail. La CFDT refuse cette évolution ; elle a quitté les négociations relatives aux salaires 2025 sur un désaccord. »
L’absence d’investissements de l’État actionnaire
« Dans le secteur de la construction, les budgets consacrés à la recherche et au développement par les acteurs sont dérisoires vu le poids du secteur. La recherche publique est donc pertinente, nécessaire et doit être financée. L’État, en réduisant progressivement les dotations, met en danger le socle que constituent la recherche au CSTB et les 200 chercheurs et thésards qui y travaillent », explique Thierry Thienpont. Or cette situation ne devrait pas s’arranger, si l’on en croit le plan stratégique 2025-2030. « Ses objectifs sont totalement démesurés. On nous demande de faire progresser le chiffre d’affaires de 6 % tous les ans pendant cinq ans, dont 4 % de croissance en volume, avec une stabilité de la dotation de recherche. Autrement dit, on nous demande d’entretenir avec nos salaires un outil qui appartient à l’État. Tous les élus du personnel au conseil d’administration et au CSE du CSTB ont voté contre le plan présenté par la direction », s’insurge Olivier Flamand, élu CFDT au conseil d’administration du CSTB.
Les militants CFDT demandent donc des moyens, que les actifs inutiles soient liquidés et les sommes ainsi récupérées réinjectées dans l’outil afin d’en garantir la pérennité, mais aussi qu’un plan d’investissement réellement ambitieux soit élaboré et que la trésorerie accumulée grâce à la modération salariale soit pleinement engagée dans les projets d’investissement productif, sans attendre.
La création d’une UES pour sécuriser les filiales
Enfin, la CFDT du CSTB milite pour la création d’une unité économique et sociale à l’échelle du groupe à la suite de l’annonce, à la fin de l’année 2024, de la suppression de 10 % des postes dans sa filiale Certivea, leader en France de la certification HQE3, de la labellisation des bâtiments tertiaires, des infrastructures et de l’aménagement des territoires. « Entre deux et quatre licenciements pour motif économique sont prévus en sus des trois départs non remplacés. Et des reclassements au sein du CSTB sont envisagés », explique Nicolas Minaud, élu CFDT au comité social et économique de la filiale. « Du fait de la crise immobilière, Certivea a vu ses ventes en France baisser de 35 % en 2024, après une baisse de 18 % en 2023 », poursuit-il.
« La filiale a tout de même distribué à CSTB Développement un dividende de 96 582 euros sur les résultats de 2023 (c’était 109 271 euros pour 2022), rappelle Étienne Thienpont. Nous sommes aujourd’hui empêchés par notre organisation, qui permet d’engager une mesure collective dans une filiale alors que les pertes sont essuyées sur le périmètre consolidé en crédit d’impôt sur les sociétés. Nous avons besoin d’une unité économique et sociale groupe pour empêcher ça. »
Le CSTB est devenu une entreprise privée agissant au cœur d’un secteur concurrentiel comme un des pivots des développements et de l’innovation « La transition énergétique du secteur de la construction lui donne une position centrale, qui doit être soutenue par les pouvoirs publics, poursuit Étienne Thienpont. Il est grand temps de libérer l’énergie des Épic, des entreprises d’exception dont il faut moderniser la gouvernance et le statut. Les Épic ont été créés pour reconstruire la France d’après-guerre et ont piloté toutes les filières industrielles qui font la France d’aujourd’hui. Elles ont maintenu un haut niveau d’expertise et sont aujourd’hui en mesure de rejouer un rôle clé dans la réindustrialisation en relevant les multiples défis techniques des transitions écologique et énergétique ! » Encore faut-il pour cela viser la modernisation nécessaire qui pérennisera l’outil et les emplois…