La griffe noire

iconeExtrait du magazine n°507

Ses livres nous rendent addicts à la première lecture. Ancien flic, l’écrivain-scénariste n’a pas son pareil pour nous embarquer dans des récits haletants, usant des codes du polar mais traitant de faits de société qu’il a méticuleusement documentés. Rencontre.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 01/11/2024 à 10h05

Olivier Norek
Olivier Norek© Delphine Blast

L’écriture a-t-elle été une évidence dès votre jeunesse ?

Non, je n’ai pas eu ce moment où je me suis dit : « Je sais exactement ce pour quoi je suis là. » J’ai mis du temps à le définir. J’ai d’ailleurs toujours considéré mon enfance comme une salle d’attente.

Je savais qu’il allait se passer quelque chose, mais je ne savais pas quand. Après le bac, je n’ai pas vu de sens à étudier quand les études n’avaient pas de sens en elles-mêmes : apprendre, mais pour quelle raison ?

Je sentais l’inquiétude de mes parents. Ma mère me disait qu’elle me voyait comme un funambule et qu’elle avait peur que je tombe… Alors, un beau jour, je me suis provoqué un électrochoc : j’ai tout arrêté et je suis parti en mission humanitaire, pour Pharmaciens sans frontières ; dans une absolue quête personnelle. En ex-Yougoslavie, aux abords des zones de front, dans les camps de réfugiés ou en Guyane, c’est bien moi que je suis allé chercher. J’imagine que les milliers de cartons qu’on a déposés ont dû aider. Mais si je veux être honnête, celui qui est revenu plus fort et plus construit, c’est bien moi.

Vous vous engagez ensuite dans l’armée puis la police. Il y a quelque chose qui veut sauver le monde chez vous ?

Il y a en tout cas quelque chose qui fait que je ne conçois pas ma vie sans qu’elle soit utile à l’autre. Si je fais quelque chose pour les autres, alors j’existe. C’est le fil rouge de tous mes métiers, y compris aujourd’hui, dans l’écriture. Quand je termine un bouquin, je pars pour une quarantaine de salons, une trentaine de séances de dédicaces en librairie et plus d’une cinquantaine de rencontres… Ce que j’aime dans l’écriture, c’est « après » : le partage, les échanges qu’elle permet.

À propos de votre carrière de policier, vous dites que ce métier vous a rendu heureux malgré la violence…

C’est un métier que j’ai fait pendant très longtemps et dont j’ai été amoureux. Parce que tous les matins quand on se lève, on se dit que l’on peut être utile à une personne, pas au monde entier, mais à une personne. Et si on travaille bien, on peut tout changer.

Dans la brigade antiviol dans laquelle j’ai aimé travailler, on s’occupait principalement des victimes. Notre rôle à ce moment-là, c’est de recevoir quelqu’un qui est brisé en milliers de morceaux et de faire en sorte qu’un jour certains de ces morceaux se recollent et retrouvent leur place. Ce qui va se passer dans les 48 ou 72 heures d’enquête va être déterminant : l’écoute, la présence, la disponibilité, le non-jugement… C’est un métier qui peut être profondément humain s’il est fait de cette manière-là.

Je précise que j’ai exercé dans la police judiciaire et donc je n'ai pas eu à subir ce regard qu’on porte sur le policier en tenue et ce à quoi il est assigné : celui dont on fait n’importe quoi, qu’on envoie n’importe où. À force d’être une béquille de l’État qui boîte des deux jambes, en fin de compte, il se retrouve avec des missions qui ne sont pas les siennes, et avec une demande de répression alors que le premier métier du policier, c’est d’assurer la prévention.

“Je deviens pessimiste avec le temps. Et pourtant, c’est maintenant qu’il faut agir.”

On vous appelle souvent le « lanceur d’alerte ». Trouvez-vous que cela vous correspond ?

Je ne me sens pas vraiment lanceur d’alerte, parce que les alertes ont été lancées il y a des années ! Sur le changement climatique, par exemple, dont je parle dans Impact (Michel Lafon, 2020), le premier rapport date de 1972 ! Donc je dirais plutôt que je suis « contrôleur d’alerte », je fais des radiographies, pour voir où l’on en est des années après l’alerte. Est-ce qu’on a avancé ?

En fait, quand j’écris, j’ai besoin d’un sujet « méta ». Mes enquêtes policières, ce sont des alibis pour raconter autre chose, amener mes lecteurs vers une autre réflexion : le changement climatique, le sort des migrants, la situation dans les banlieues, la reconstruction de soi… Alors oui, il y a des rebondissements, des meurtres, des policiers qui peuvent donner du rythme au récit, selon les codes du polar. Mais si j’ai besoin d’être motivé pendant deux ans ou deux ans et demi pour l’écriture d’un livre, il faut vraiment quelque chose qui soit au fond de mon ventre, que ça me touche, et ce qui me touche, ce sont les sujets sociaux.

L’un de vos personnages, dans Impact, dit : « L’écologie sans la révolution, c’est du jardinage. » C’est une invitation à l’action ?

Je ne veux certainement pas inviter ou inciter à la violence. J’ai créé ce personnage criminel, cet « écoterroriste », Virgil Solal, pour que, justement, il n’existe pas dans la réalité. Pour que l’on puisse arrêter la destruction de notre planète avant d’atteindre le point où les citoyens n’auraient que la violence pour se faire entendre. En me disant que, peut-être, à force d’alerter, il se produirait des changements. Mais, finalement, la pandémie de Covid est arrivée, et notre monde d’après ressemble furieusement au monde d’avant… On continue de faire exactement le contraire de ce que l’on devrait faire : on a explosé sur les énergies fossiles. Je deviens pessimiste avec le temps. Et pourtant, c’est maintenant qu’il faut agir.

Impact ou Entre deux mondes (Michel Lafon, 2017), sur la situation des migrants à Calais, livre pour lequel vous avez vécu plusieurs mois dans la jungle, sont étudiés au collège et au lycée. Est-ce une fierté pour vous ?

Je suis heureux de voir qu’autour de ces livres, il se passe de belles choses. Il y a beaucoup de gamins qui viennent me faire dédicacer ces livres. Ils m’écrivent. Un groupe de jeunes écolos m’a un jour contacté car ils voulaient distribuer Impact dans les 500 boîtes aux lettres de leur village. J’ai appelé mon éditeur et nous avons envoyé les livres…

 

Votre dernier ouvrage, Les Guerriers de l’hiver (Michel Lafon, 2024), explore l’histoire méconnue de la guerre russo-finlandaise, qui s’est déroulée entre novembre 1939 et mars 1940. Pourquoi ce sujet ?

A priori, l’Histoire, ce n’est pas ma matière. Mais au moment du déclenchement de l’offensive en Ukraine, en 2022, et avec
la menace russe de recourir à l’arme nucléaire, j’ai eu un choc. Je me suis demandé : «Comment ça commence une guerre?» J’ai voulu répondre à mes craintes par un élan de curiosité, car plus on sait et moins on a peur.
Je me suis donc intéressé aux guerres qui ont été lancées par la Russie au siècle dernier. Il me semblait important aussi de sortir de la fantasmagorie liée à la guerre.

Les gens ont tendance à croire aujourd’hui que si jamais on fait la guerre, ce sera une guerre de drones, d’informatique… Or non ! Cela fait deux générations qu’on ne connaît pas la guerre, on la voit près de nous mais elle ne nous touche pas directement. Tout passe par le filtre de l’écran, de la télévision. D’où l’importance de prendre les lectrices et les lecteurs et de les mettre dans l’uniforme de ces soldats, qu’elles et ils puissent sentir, goûter, qu’elles et ils aient peur avec eux. Pour sortir de cette fantasmagorie de la violence et revenir à la réalité.