Extrait du magazine n°499
À Saint-Nazaire, les milliers de salariés des Chantiers de l’Atlantique imaginent et fabriquent des géants des mers à un rythme effréné. Le carnet de commandes est plein, mais le fleuron de la construction navale française doit se réinventer pour répondre à la nécessaire transition écologique.
Sur les quais de Saint-Nazaire, c’est l’effervescence en ce doux matin de novembre. Le Celebrity Ascent, dernier-né des Chantiers de l’Atlantique, a pris la mer quelques heures plus tôt, laissant sa place dans les ateliers à son alter ego de 327 mètres.
Non loin de là, la construction de l’Utopia of the Seas, avec ses 2900 cabines et ses 15 piscines, va bon train. Dans cette zone portuaire où travaillent 3600 salariés des chantiers, 8000 si l’on compte les sous-traitants, il suffit de lever la tête pour s’apercevoir que l’activité tourne à plein régime. Ici, tout est démesure : jusqu’à 2000 salariés sont mobilisés en même temps, représentant 50 métiers nécessaires à la réalisation de ces «villes flottantes» qui peuvent accueillir jusqu’à 7 000 passagers. « Tout ce qui flotte et qui dépasse 200 mètres de long arrive à Saint-Nazaire », résume Olivier Le Moigne, délégué syndical CFDT.
Si l’entreprise a bien changé depuis la construction du Normandie, dans les années 1930, les Chantiers restent le poumon économique de la ville. Et malgré les conditions de travail difficiles – « ce n’est pas Zola mais, pour un tiers des salariés, cela reste une industrie lourde avec des conditions physiques proches du BTP », analyse Jean-Pierre Guellec, du département R & D –, les Chantiers restent une fierté locale.
Cependant, ce patrimoine industriel et ce savoir-faire, qui font la fierté de toute une région, sont percutés par le réchauffement climatique. La nouvelle génération, notamment, est davantage soucieuse du virage écologique que doit prendre l’entreprise. « Même si les Chantiers font des efforts pour concevoir les bateaux les plus “verts” du monde, les cas de démission de salariés intellectuellement gênés par la construction de paquebots de croisière se multiplient », poursuit-il. « Il y a une vision très différente entre les anciens et la nouvelle génération sur l’impact environnemental de leur activité. Cela nous questionne syndicalement et nous force aussi à sortir d’une forme de passivité pour affronter cette question difficile », abonde Jérôme Dholland, militant CFDT et chargé d’affaires. Ce dernier a d’ailleurs demandé que soit créée une commission RSE (responsabilité sociétale des entreprises) afin de suivre, notamment, la trajectoire carbone des Chantiers.
Toute la chaîne impactée
Côté R & D aussi, les choses bougent. Actuellement, 75 % de la recherche et du développement sont liés aux enjeux environnementaux. Jean-Pierre se dit plutôt satisfait de voir, par exemple, le changement de culture de MSC Croisières, y compris dans leur dernière campagne de communication. Mais il s’agit d’une réflexion commune entre l’armateur et l’entreprise. « Un réservoir à hydrogène, c’est douze fois plus gros qu’un réservoir à fioul. Le choix du moteur, de la propulsion ou du carburant est pour l’armateur un enjeu aussi financier que stratégique, et opérationnel pour l’entreprise, qui va impacter tous les salariés de la conception à la production », précise Jean-Pierre. « On a toujours l’impression d’être en retard, mais le fait est qu’il faut bien commencer, et je pense que la voie prise est la bonne », renchérit un autre militant CFDT, François Truin, ingénieur.
La diversification, une voie à prendre
Signe de cette révolution « verte », c’est à Saint-Nazaire que seront construits le premier cargo à voile (pour le transport de marchandises) et le premier paquebot à propulsion hybride (voile et gaz naturel liquéfié). Les contrats sont déjà signés. Les Chantiers sont également en passe de devenir l’un des leaders mondiaux sur le marché de l’éolien offshore…
Cette diversification de l’activité offre aux Chantiers une « Transition XXL » qui pourrait bien inspirer d’autres secteurs de l’industrie lourde. «Aujourd’hui, la Buemi [l’unité dédiée aux énergies marines et à l’ingénierie] représente 10 % de l’activité. À terme, ce pourrait être 40 %», poursuit François.
Avec un carnet de commandes qui assure du travail aux Chantiers de l’Atlantique pour plusieurs années, les salariés sont sereins pour l’avenir. Saint-Nazaire a même décroché la construction d’un porte-avions nouvelle génération de l’armée française qui doit être livré en… 2038, de quoi voir venir. Une perspective prospère qui ne doit pas dédouaner la direction d’une réflexion plus poussée sur l’impact environnemental de la construction navale. « Quel sera l’avenir des Chantiers si le pouvoir politique était amené à prendre des mesures plus drastiques ? », s’interrogent les militants CFDT, partagés entre la défense de l’emploi et leur sensibilité écocitoyenne.