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Extrait de l’hebdo n°3898
À peine élus, Cathy et Stéphane sont parvenus à faire plier leur direction en obtenant une augmentation de salaire générale. Du jamais vu dans cette entreprise qui n’avait pas l’habitude de jouer le jeu du dialogue social. Les mentalités changeraient-elles ?
C’est une histoire un peu folle. Lorsque Cathy et Stéphane décident de se syndiquer à la CFDT et de présenter une liste aux élections professionnelles chez Mecaprotec, ils étaient loin d’imaginer qu’ils pourraient se retrouver en première ligne quelques semaines plus tard. Située près de Toulouse, cette entreprise familiale de 500 salariés (y compris les intérimaires) spécialisée dans la peinture et le traitement de surface de pièces destinées à l’aéronautique avait jusqu’à présent une manière un rien paternaliste de gérer ses affaires.
1. Comité social et économique.
Mécontents de constater le peu d’avancées sociales, les deux collègues décident de se présenter aux élections professionnelles en pensant réunir de 10 à 15 % des voix au maximum. « Nous voulions être élus pour comprendre ce qui se passait au CSE1, on voulait des informations, on n’y connaissait rien, raconte Cathy. Ce que l’on savait, en revanche, c’est que nous n’avions bénéficié d’aucune augmentation de salaire alors que le carnet de commandes de l’entreprise était plein et que les prix dans les magasins grimpaient en flèche. » À la surprise générale, la liste obtient finalement 57 % des voix en mars 2023. Cathy se retrouve en première ligne pour négocier en tant que déléguée syndicale, tandis que Stéphane endosse la fonction de secrétaire du CSE.
Le pouvoir d’achat, un solide argument
L’argument du pouvoir d’achat avait manifestement fait mouche et convaincu une grande partie des salariés de voter pour la liste CFDT. « L’entreprise nous demandait tout le temps de faire des heures supplémentaires, mais disait systématiquement qu’elle n’avait pas les moyens de nous augmenter, résume Stéphane. Il y avait toujours une excuse. Une fois, c’était à cause de la conjoncture économique ; une autre fois à cause de la hausse du prix de l’énergie, une fois encore parce que le prix des produits vendus aux clients n’était pas assez élevé… Et les élus des autres syndicats n’étaient clairement pas assez revendicatifs selon nous sur ce sujet. »
Une fois installés dans leurs nouvelles fonctions, les deux militants CFDT demandent donc à la direction de faire un geste sur les salaires, comme elle s’y était engagée lors de la campagne électorale interne. « Il y avait une forte attente, insiste Cathy. Avant, chez Mecaprotec, on avait de petits salaires mais de bonnes primes d’intéressement et de participation. Depuis la fin de la crise Covid, ces primes ont disparu. Avec l’inflation, la situation devient intenable pour tout le monde. » Mais la direction ne l’entend pas de cette oreille et refuse d’ouvrir des négociations. La CFDT décide alors d’organiser un mouvement de grève. Du jamais vu dans l’usine. « Nous avions été élus pour avoir des résultats, nous voulions donc marquer le coup tout de suite », explique Cathy.
La direction change son fusil d’épaule…
Malgré la pression mise par la direction sur les élus afin qu’ils reviennent sur leurs exigences – et bien que les autres organisations syndicales ne se soient pas associées à ce mouvement –, les préparatifs vont bon train. De plus en plus de salariés font savoir qu’ils en seront. Un temps dubitative, la direction a fini par comprendre que le mouvement serait massif. Et elle est forcée de reconnaître que le mécontentement est généralisé quand presque tous les salariés en production promettent d’interrompre le travail.
La veille du jour J, la direction convoque les élus CFDT en urgence et accepte la quasi-totalité de leurs revendications, preuve que ces dernières n’avaient rien de délirant. Elle accorde une augmentation générale de 4 % applicable immédiatement, une revalorisation d’un euro des primes de panier et des titres-restaurant ainsi que l’ouverture de négociations sur diverses primes pour une application en janvier 2024. « La direction voulait à tout prix éviter la grève. C’était avant tout une question d’image… », analyse Cathy.
En plus, les deux élus ont obtenu que les représentants de la direction annoncent eux-mêmes cet accord dans l’usine, devant les salariés réunis pour l’occasion. « C’était très fort, se souvient Cathy, car la direction ne vient que très rarement nous voir. Certains salariés ne connaissaient pas leurs visages. Cela rendait concret notre bras de fer et prouvait que nous avions gagné la partie ! »
Un avertissement qui pourrait changer la donne
La grève n’aura donc pas eu lieu, mais tout le monde sait à présent qu’un tel mouvement est possible. Une sorte d’avertissement d’autant plus utile que les élus CFDT comptent remettre le couvert dans peu de temps. « Nous avons fait comprendre à la direction qu’il ne s’agissait pas des négociations annuelles obligatoires sur les salaires pour 2024 mais seulement d’un rattrapage pour 2023. On va effectivement réengager des discussions en janvier prochain », insiste Cathy, qui espère faire évoluer la manière dont se déroule le dialogue social au sein de l’entreprise.
Depuis cette victoire éclair, de plus en plus de salariés rejoignent la section CFDT, qui apprend progressivement à se structurer. Cathy et Stéphane ont clairement conscience que c’est en parvenant à convaincre un maximum de salariés de les rejoindre qu’ils pourront instaurer un rapport de force efficace face à la direction, un véritable dialogue social grâce auquel il est possible d’avancer sans forcément passer par la grève ou la menace d’une grève. Rendez-vous est pris en 2024 pour constater si oui ou non il y a un véritable changement…