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Extrait de l’hebdo n°3949
Optimisation fiscale, aides de l’État non remboursées, spéculation immobilière… : ce 21 janvier, lors d’une conférence de presse commune, la CFDT Santé-Sociaux et le Cictar dévoilent un rapport dénonçant les dérives de grands groupes de santé privés. Les deux organisations appellent à reprendre les rênes de notre système de santé.
La CFDT Santé-Sociaux est en alerte maximale. « Les dérapages et les excès des acteurs libéraux ou lucratifs nous alarment parce qu’ils font courir des risques graves à notre système de santé », affirme sans ambages Ève Rescanières. La secrétaire générale de la fédération dénonce ainsi la financiarisation rampante du secteur privé de la santé. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Dans le rapport « Charges et produits », prélude au projet de loi de financement de la Sécurité sociale, le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie, Thomas Fatôme, qualifie cette financiarisation comme la « prise de contrôle d’une offre de soins qui est détenue par les professionnels de santé, par des acteurs de santé ».
1. Le groupe (qui compte 36 000 salariés) exploite 488 cliniques et établissements de soins. Il est présent en France, au Danemark, en Italie, Norvège et Suède.
Ce système opaque, la CFDT Santé-Sociaux, qui s’appuie sur des exemples concrets, entend le mettre à bas. Dans un rapport élaboré avec le cabinet international Cictar (Centre de recherche et de responsabilisation en matière d’impôt des sociétés), elle révèle ainsi « comment les choix immobiliers de Ramsay Santé1 permettent à la fois une fuite importante des fonds publics tout en encourageant une spéculation financière qui aiguise l’appétit des fonds d’investissements européens et mondiaux ». Rappelons que 85 % des revenus de Ramsay Santé dépendent des financements publics. « En plus de son chiffre d’affaires financé par la dépense publique, Ramsay Santé a également reçu au moins 749,8 millions d’euros de subventions publiques depuis le début de la pandémie de Covid en 2020, soit l’équivalent de 67 % de son résultat opérationnel sur la période 2020-2024. »
“Il faut mettre fin à cette opacité et viser une totale transparence. C’est intenable et inacceptable démocratiquement pour les usagers et les travailleurs de voir que de tels mécanismes existent, d’autant plus dans un contexte financier contraint.”
Des dispositifs légaux… qui posent question
La pilule est d’autant plus difficile à avaler que les dispositifs utilisés par les experts de l’optimisation fiscale sont le plus souvent des mécanismes légaux, à l’image des management fees, des frais de gestion payées par des filiales à la société mère en échange de services juridiques, comptables ou de conseil qui permettent des transferts de fonds vers les établissements et le siège. « Cet outil reste une variable utilisable pour faire des jeux d’écritures comptables entre structures et siège et réduire le bénéfice des cliniques. »
2. Société par actions simplifiée.
Autre vecteur pointé du doigt, les centrales d’achat. « Semblant relever du bon sens, le regroupement des achats et la gestion du matériel doivent permettre des économies, mais très souvent suspectes lorsque l’on examine les choses de près », prévient la fédération. Dans un courrier au groupe Ramsay Santé, le Cictar rappelle que ce dernier exploite une société d’achats centralisé – Performance Achats Service de la Santé. Cette SAS2 « n’apparaît pas être propriétaire de biens et de fournitures achetés, ne détient aucun stock »… mais perçoit 60 millions d’euros chaque année de la part d’autres sociétés du groupe présentes en France.
L’art de ventiler les aides non utilisées
Enfin, la CFDT Santé-Sociaux déplore que les aides publiques perçues par les géants du secteur disparaissent des radars, faute de contrôle ou de suivi du principal financeur, la puissance publique. « Dans le secteur lucratif, il est connu de tous que le mécanisme de retour des aides non utilisées durant la crise Covid n’a pas fonctionné, pointent la CFDT Santé-Sociaux et le Cictar. Plusieurs hauts fonctionnaires nous ont expliqué l’empressement des opérateurs à ventiler les enveloppes dans tous leurs établissements, ce qui fait qu’aujourd’hui la récupération de ces fonds imposerait à l’État de procéder à autant de démarches que d’établissements. Cela coûterait plus cher de faire le nécessaire pour récupérer l’argent que ce qui serait récupéré. »
Un autre exemple d’exploitation des failles du système porte sur la séparation entre le bâti et son exploitation. « Nous sommes dans une situation où les structures immobilières sont largement bénéficiaires et les cliniques qui en sont locataires toujours en déficit, explique la CFDT Santé-Sociaux. Et si les actionnaires des grands groupes lucratifs claironnent qu’ils ne reçoivent pas de dividendes, ce n’est en revanche pas le cas des actionnaires des sociétés immobilières, souvent les mêmes personnes. »
“La CFDT Santé-Sociaux et le Cictar estiment à 2,5 milliards d’euros – soit l’équivalent du salaire annuel de 82 000 infirmiers – les loyers versés aux investisseurs immobiliers privés.”
En se fondant sur l’exemple de Ramsay, et par extrapolation aux autres géants du secteur, la CFDT Santé-Sociaux et le Cictar estiment ainsi à 2,5 milliards d’euros – soit l’équivalent du salaire annuel de 82 000 infirmiers – les loyers versés aux investisseurs immobiliers privés. Mais selon la CFDT Santé-Sociaux, cet état de fait n’est pas une fatalité : « Il existe des alternatives à cette opacité et à cette hémorragie de fonds publics au profit de spéculateurs immobiliers privés. »
Vers des conditions obligatoires de transparence ?
« Dans certains pays européens, les pouvoirs publics sont propriétaires ou ont racheté des bâtiments exploités par des opérateurs de services publics, qu’ils soient à but lucratif ou non, précisent la CFDT Santé-Sociaux et le Cictar dans leur rapport. D’autres pays, comme la Norvège, ont introduit récemment des conditions de transparence qui obligent les prestataires de certains services publics à publier le montant de leurs loyers et de leurs coûts d’approvisionnement, et à s’assurer qu’ils correspondent aux prix du marché. De plus, mettre fin aux aides fiscales dont bénéficient les fonds d’investissement immobilier pourrait créer des conditions plus équitables pour l’émergence d’une mixité des modèles de propriété des actifs immobiliers du système de santé français. »
La CFDT exige la publication des comptes consolidés des acteurs du lucratif, le fléchage des financements publics vers des enveloppes purement RH et la construction d’un vrai dialogue social… pour réinvestir les profits dans un système de santé à bout de souffle, et en direction de celles et ceux qui le font vivre au quotidien.