La CFDT de la coopérative laitière Isigny Ste Mère sur tous les fronts

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iconeExtrait de l’hebdo n°3930

Égalité professionnelle, travail de nuit, astreinte… : la section fait pleinement vivre le dialogue social avec pas moins de 39 accords signés ces cinq dernières années. Elle sait aussi se mobiliser par la grève quand c’est nécessaire – en témoigne la mobilisation massive pour les salaires, en mars dernier.

Par Guillaume Lefèvre— Publié le 27/08/2024 à 12h00

De gauche à droite : Dominique Baloche et Emmanuel Dufays, délégués syndicaux CFDT.
De gauche à droite : Dominique Baloche et Emmanuel Dufays, délégués syndicaux CFDT.© Stéphane Vaquero

Pour la section CFDT de cette coopérative spécialisée dans la transformation des laits crus – à qui l’on doit, entre autres, les très renommés crème et beurre d’Isigny, le fameux pont-l’évêque, l’incontournable camembert d’Isigny, la célèbre mimolette et la moins connue poudre de lait infantile, le dialogue social n’est pas qu’une expression, c’est un véritable état d’esprit.

« Nous n’avons aucun intérêt à être dans l’opposition systématique et par principe ; selon nous, tout le monde doit être gagnant, que ce soit du côté des salariés ou de la direction, on doit tous aller dans le même sens. On aime nos produits. On est fiers de notre savoir-faire. Nous ne sommes pas là pour casser l’outil de travail », résume Dominique Baloche, secrétaire du CSE et délégué syndical. Pour lui, le dialogue social est une sorte d’obsession. « Mais pour qu’un dialogue social permette aux salariés de voir leur engagement reconnu et à l’entreprise de perdurer, il faut être au moins deux », insiste cet opérateur de pesée au sein de l’unité poudre infantile, présent sur le site d’Isigny-sur-Mer (Calvados / Normandie) depuis trente-deux ans et engagé syndicalement depuis trente et un ans. Ça tombe bien car, au sein de la coopérative, le dialogue social est de qualité. D’ailleurs, la longue liste des accords signés depuis que l’équipe CFDT est aux manettes en témoigne.

Privilégier le dialogue social… jusqu’à la grève, si besoin

« C’est plutôt pas mal. On est assez contents de tout ce qu’on a pu faire et obtenir jusqu’à maintenant », résume Emmanuel Dufays, 44 ans, adhérent CFDT depuis quatorze ans, délégué syndical depuis trois ans, trésorier du CSE et chauffeur « à la collecte ». Entré comme intérimaire, celui qui pensait, il y a vingt ans, que « les syndicats ne servent à rien », regarde avec fierté le chemin parcouru et les résultats obtenus. La dernière grande victoire du collectif remonte au 18 mars dernier. Alors que les discussions autour de la négociation annuelle obligatoire étaient à la peine et malgré les avertissements de la section à la direction, la CFDT a dû se résoudre à déclencher une grève.

Dès 4 heures, près de la moitié des effectifs de la coopérative (dont la majorité des salariés sont en trois-huit) ont répondu présents. Ils ont cessé toute activité dans les deux sites de production et se sont réunis devant les grilles de l’établissement, face aux bureaux administratifs de l’entreprise, afin de réclamer des hausses de salaire. Il n’aura fallu que quelques heures aux négociateurs CFDT pour revenir avec une augmentation générale de 3 % bénéficiant à tous, une revalorisation de 20 % de la prime pénibilité pour les salariés de l’unité fabrication fromagerie pâtes molles, 9 euros supplémentaires chaque mois sur les titres-restaurant, et ce n’est pas tout, puisque la création d’un seuil supplémentaire visant à récompenser l’ancienneté a également été actée (fixé à trois ans avec 2 %, contre cinq ans auparavant) – soit un total cumulé de + 3,5 % sur la masse salariale.

« La mobilisation massive des salariés est une véritable reconnaissance du travail que nous faisons chaque jour, insiste Dominique Baloche. Nous avons été portés par leur enthousiasme, et c’est leur soutien qui a permis un tel résultat. Le nombre fait la force. On ne manquera pas de le rappeler à chaque occasion ! »

Une CFDT qui sait (se) mobiliser

Certains l’ont d’ailleurs bien compris puisque vingt nouveaux adhérents sont venus grossir la section CFDT le jour de la mobilisation, portant l’effectif total à 112, soit 10 % des salariés de la coopérative. Et pour cause : l’équipe avait organisé en parallèle, avec le soutien du Syndicat général Agroalimentaire de la Manche et de la CFDT Agri-Agro, une action de développement autour d’un café et d’un barbecue. « Cette grève a montré à nos collègues (qui, parfois, ont le cliché facile à propos des syndicats et critiquent parfois notre action) que la CFDT ne signe pas tout et n’importe quoi. La CFDT sait se mobiliser et mobiliser lorsque cela est nécessaire ! »

Les sections syndicales de plusieurs entreprises du lait voisines avaient d’ailleurs apporté leur aide et leur solidarité en prévenant leurs directions respectives que si du lait d’ISM (Isigny Ste Mère) était collecté par leur entité, ils se mettraient eux aussi en grève.

« Quand on estime qu’un accord est juste, on y va ; quand ce n’est pas le cas, on le fait savoir », résume Emmanuel Dufays, qui rappelle que, lors de la mise en place des nouvelles classifications, l’équipe syndicale, après avoir employé tous les recours possibles pour faire évoluer la reconnaissance des techniciens de maintenance, avait déclenché un mouvement de contestation par la grève ; l’équipe de négociation avait alors obtenu une augmentation du salaire de base de 150 euros. De même, un accord relatif aux astreintes, signé en mars 2024, a permis l’intégration d’une prime de 342 euros dans le salaire de base et une nouvelle prime d’astreinte du week-end pour ces mêmes techniciens.

Former les élus de demain

Ce ne sont pas les résultats qui manquent pour une section qui a acquis le réflexe de valoriser son style de syndicalisme, à l’occasion de ses tournées dans les ateliers, qu’elle a récemment systématisées. En lien avec les représentants de proximité, les élus multiplient les déplacements au sein des unités afin de promouvoir son travail et d’écouter les collègues. Ce rendez-vous, désormais régulier, permet de faire remonter des problématiques spécifiques… et d’y apporter presque aussitôt les correctifs nécessaires. L’intervention des élus CFDT auprès de la direction a par exemple autorisé la création de nouveaux locaux sociaux au laboratoire produits frais.

C’est d’ailleurs après plusieurs visites que les délégués syndicaux CFDT ont convaincu Amélie Roger, 36 ans, en poste à l’unité conditionnement fromagerie pâtes molles, de franchir le pas de l’adhésion et se présenter lors des dernières élections. « J’ai été franche avec eux ; je leur ai dit que je n’avais aucune idée de ce que cela pouvait impliquer, que je ne connaissais pas vraiment la CFDT… Ils m’ont répondu que ce n’était pas un problème, que j’étais là pour apprendre, qu’ils m’accompagneraient, que je bénéficierais de formations. » La formation commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) qu’elle a suivie peu après avoir rejoint les rangs de la section est rapidement venue confirmer son appétence pour ces sujets. Pour le plus grand bonheur des deux délégués syndicaux qui font de la montée en compétences et du renouvellement de leur équipe d’absolues priorités. « Ça bouscule parfois, notre façon de faire du syndicalisme, et ça nous oblige à repenser nos modes d’action, mais c’est indispensable. Les attentes et les besoins des salariés d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes qu’hier. »

C’est d’ailleurs dans cette logique que les deux délégués syndicaux associent systématiquement les nouveaux élus aux négociations, afin qu’ils puissent découvrir les coulisses et les rouages du dialogue social… et les voir prendre le relais le moment venu. « On devient des acteurs de la coopérative, et la formation nous donne des clés de lecture pour mieux saisir les enjeux économiques et sociaux, d’avoir une vision plus globale, parce qu’on n’est pas comptable ni juriste et parce qu’on part de zéro », poursuit Stéphanie Daublin, 47 ans, adhérente, élue CSE depuis un an et contrôleuse-préleveuse au service poudre, qui a suivi une formation sur le rôle et les missions du CSE.

“Nous cherchons à nous améliorer en permanence”

« On a désormais le réflexe de communiquer sur nos victoires. Ça n’a pas toujours été le cas, parce que ce n’était pas dans notre culture, précise Emmanuel Dufays. On était pris par nos activités quotidiennes et on pouvait avoir tendance à se reposer sur nos acquis en pensant que c’était suffisant, mais ça pouvait donner l’impression que nous n’étions pas pleinement engagés. » Les délégués syndicaux réservent désormais une communication spécifique aux adhérents. Ils les informent en avant-première au sujet du contenu des négociations en cours ou sur les réunions d’instance. Avec toujours la volonté de rendre le meilleur service aux adhérents… et de convaincre celles et ceux qui ne le sont pas encore de s’engager à leurs côtés.

À propos de l'auteur

Guillaume Lefèvre
Journaliste

« On cherche continuellement à s’améliorer, à mieux communiquer, à développer de nouveaux outils. Certes, nous ne sommes pas parfaits, affirme Dominique Baloche, mais notre syndicalisme paye, et plus nous serons nombreux à nous engager, plus nous aurons du poids dans les négociations. » Les chantiers à traiter ne manquent pas. Prochains objectifs de l’équipe syndicale : un accord d’intéressement égalitaire, un nouvel accord fin de carrière, un accord télétravail en lieu et place de la « charte » proposée par la direction. L’équipe syndicale est décidément motivée, et sur tous les fronts !