La CFDT d’Albany bouleverse l’ordre établi

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iconeExtrait de l’hebdo n°3934

Créée en mars 2023, la section a fait une entrée fracassante dans le paysage syndical en recueillant 42 % des suffrages aux dernières élections. Elle compte aujourd’hui 43 adhérents. De quoi asseoir une certaine légitimité.

Par Guillaume Lefèvre— Publié le 24/09/2024 à 12h00

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« On part d’une feuille blanche ; nous avons tout à écrire », résume Laurent Schuster, délégué syndical et secrétaire de la jeune section de cette entreprise spécialisée dans le tissage industriel pour l’aéronautique. Ce défi, les militants de cette compagnie américaine située à Commercy (Meuse / Grand Est) entendent le relever « étape par étape ». En moins d’un an, ils ont su éviter quelques écueils, au premier rang desquels la présence du « syndicat historique », l’Unsa, seule organisation syndicale en place depuis dix ans et l’arrivée d’Albany (4 400 salariés à travers le monde) en territoire meusien.

« On constatait bien que les salariés n’étaient pas assez écoutés, que leurs intérêts n’étaient pas suffisamment défendus », explique Alexis Georges, 37 ans, magasinier et élu CSE, qui dépeint un dialogue social à l’arrêt. « On avait l’impression d’être au niveau zéro du dialogue social. »

Pendant près d’un an, s’estimant mal représentés, Laurent Schuster et Alexis Georges échangent leurs points de vue et songent à monter une section. Mais avec qui ? quand ? comment, et avec quels moyens ? « Ce qui n’était qu’une idée est devenu peu à peu une réalité avec un seul leitmotiv : améliorer la vie des salariés », précise Alexis. C’est un échange avec une de ses voisines, adhérente CFDT, qui décidera le futur secrétaire de section. Le temps était venu pour cet ancien adhérent de l’Unsa de passer à autre chose…

Un cinquième des salariés adhèrent en huit mois

Contact est alors pris avec le Syndicat des Services 54-55 (Meurthe-et-Moselle & Meuse) afin de « prendre la température ». Après plusieurs rendez-vous avec le secrétaire dudit syndicat, le pas est franchi. L’annonce de la création de la section, en mars 2023, provoque un effet immédiat : en huit mois, quarante des deux cents salariés adhèrent. Les élections professionnelles qui se sont déroulées en novembre 2023 confirment cette tendance : la CFDT recueille 47 % des suffrages et remporte huit des vingt sièges en jeu. Satisfaction supplémentaire : le collectif CFDT devance son concurrent au sein du collège ouvriers avec quatre sièges contre trois. Cette présence orange se fait nettement sentir dans les instances : plus de 80 % des questions posées sont désormais estampillées CFDT. « Si on a fait le choix de la CFDT, c’est parce que c’est le syndicat du dialogue social », affirme Laurent Schuster.

“Pas de promesses qui ne peuvent être tenues”

Aurélie Charoy, élue CSE, qui a franchi le pas de l’adhésion pour la première fois, n’a « jamais cru aux promesses faites par le syndicat majoritaire. Avec la CFDT, ce sont des paroles et des actes ! ». Une telle affirmation n’est d’ailleurs pas qu’un slogan, souligne Laurent Schuster : « J’ai toujours dit à ceux qui voulaient nous rejoindre que nous ne ferions pas de promesses qui ne pourraient pas être tenues et que nous agirions en toute transparence en vue d’établir un dialogue social de qualité. » C’est une des raisons qui a convaincu David Muller, opérateur de production et ancien élu Unsa, à rejoindre la CFDT. « Tout ce qu’on fait, on le fait en prenant en compte l’intérêt des salariés. Ils nous ont fait confiance lors des élections, nous devons être à la hauteur ! »

« Ça fait par exemple plus de six ans que l’on demande la mise en place d’un treizième mois, explique Nadia Ferhat, élue CSE. On ne voit rien venir, et le sujet n’a jamais été porté malgré la demande des salariés. » Si elle admet volontiers que « les syndicats n’étaient pas [sa] tasse de thé », elle souhaite aujourd’hui « que la CFDT aille chercher elle-même les réponses aux questions que les salariés se posent ».

La formation des élus, autre grande priorité

« Il fallait que ça bouge, poursuit Jenny Eichwald, ancienne adhérente Unsa, convaincue par le projet et les ambitions de la section CFDT. Et on va s’en donner les moyens. » À commencer par la formation des militants. C’est la deuxième étape à passer pour la section. La plupart des élus ont d’ailleurs atteint leur quota annuel de jours de formation. Prise de parole en public, communication numérique, accompagnement des salariés, négociation en entreprise, harcèlement, expression écrite… : des dizaines de modules ont été suivis avec assiduité. Après plusieurs mandats d’élus, il s’agissait d’une première pour David Muller. « C’est une belle opportunité d’échanger sur les bonnes pratiques, de rencontrer les militants d’autres boîtes », précise Laurent Schuster. Afin de passer de la théorie à la pratique, la section envoie un courriel bimensuel à tous les adhérents. « Il est indispensable de faire un retour à nos collègues, car ce sont eux qui nous donnent notre légitimité », insiste Basile Guérin, opérateur de production et élu CSE.

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À propos de l'auteur

Guillaume Lefèvre
Journaliste

Les sujets de négociation qui s’annoncent dans les prochains mois devraient permettre à la section CFDT d’asseoir un peu plus sa légitimité. Et, peu à peu, de tisser sa toile. « Nous restons l’organisation minoritaire, rappelle Alexis Georges. Nous sommes sur une ligne de crête. À nous de faire basculer les salariés du bon côté. On a trois ans pour convaincre nos collègues du bien-fondé de nos propositions, de l’utilité de notre syndicalisme, qui permet d’établir un véritable rapport de force. »