Chez Walor, un repreneur trouvé in extremis permet de sauver 101 emplois

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iconeExtrait de l’hebdo n°3949

Pendant six mois, la CFDT a mené des actions coordonnées à tous les niveaux – confédéral, fédéral, régional et local – afin de préserver l’emploi et l’outil industriel dans les deux sites ardennais de l’entreprise automobile Walor, voués à la liquidation judiciaire.

Par Sabine Izard— Publié le 21/01/2025 à 13h00

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© Walor - DR

Le combat fut éprouvant mais la CFDT de Walor n’a rien lâché pour sauver l’emploi dans les deux sites ardennais de Vouziers et Bogny-sur-Meuse, spécialisés dans la fabrication de bielles, des pièces qui servent au fonctionnement des moteurs thermiques des automobiles. Après plusieurs mois de bataille juridique et syndicale, le tribunal de commerce de Sedan a acté, le 25 novembre dernier, leur liquidation judiciaire et leur rachat par le fabricant de pièces en métal Forgex France. L’offre prévoit pour le site de Vouziers la reprise de 48 salariés et le licenciement de 30 autres ; pour l’usine de Bogny-sur-Meuse, la reprise de 53 salariés et le licenciement de 72 autres.

« C’était ça ou le licenciement de l’intégralité du personnel, ce qui n’était pas envisageable », affirme Bruno Bodson, délégué syndical CFDT et secrétaire du CSE de Vouziers, où la CFDT est majoritaire. « Je suis fier de mon équipe. La mobilisation a été dure, nous avons fait plusieurs grèves mais, in fine, les sites sont repris et les salariés de Vouziers licenciés partent avec du supralégal et des mesures d’accompagnement pour pouvoir se former sur des métiers porteurs. » Néanmoins, le rachat ne règle pas tout. « Les deux usines connaissent de difficultés économiques et nécessitent des investissements importants pour être remis en état de production », reconnaît le militant, qui a fait le choix de partir avec les salariés licenciés.

Un rachat et des promesses oubliées

C’est en 2018 que tout dérape. À l’époque, les sites de Vouziers et Bogny-sur-Meuse, en dépôt de bilan à la suite de grosses difficultés financières, sont rachetés par le sous-traitant automobile Walor, qui s’engage à investir quinze millions d’euros sur quatre ans dans les outils de production et à mettre aux normes de sécurité les quatorze pilons de l’unité de la vallée de la Meuse. « Mais Walor ne s’est pas occupé de nous, dénonce Bruno. Les personnes recrutées à la production et à la sécurité n’étaient pas toujours qualifiées, les intérimaires pas formés. Ils cassaient les machines. On travaillait pour les réparer. Puis ils ont commencé à envoyer n’importe quoi au client. On perdait des marchés. Tout a été très vite sans que personne ne s’inquiète vraiment. J’ai fait une alerte au comité de groupe et au syndicat. Ensemble, on a prévenu l’inspection du travail, la direction du travail, la région… mais rien n’a bougé. Pour nos dirigeants, des financiers, les chiffres étaient redressables. Mais nous, on savait que, sans investissement dans les outils de production, ça ne pouvait pas marcher. »

« Pendant plus de deux ans, les représentants et les élus CFDT ont tiré la sonnette d’alarme et dénoncé le sous-investissement chronique dans les sites », confirment Albert Cazeaux, secrétaire général de la CFDT Métallurgie des Ardennes, et Éric Billy, secrétaire général de la CFDT Ardenne Grand Est. Bruno nous a contacté en 2022. À l’époque, Vouziers atteignait 12 000 casses par an. Conséquence, la productivité et la qualité baissaient ; pire, les salariés étaient exposés à des risques, et les accidents du travail se multipliaient. Sous notre impulsion, la section s’est fait accompagner par un cabinet d’expertise. »

1. Direction départementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités.

En 2023, les deux sites sont finalement rachetés par le groupe financier allemand Mutarès. « Mutarès, c’est l’ogre, le destructeur d’entreprises. Malgré ses engagements au moment de la reprise – et malgré des aides publiques perçues ces dernières années (300 000 euros à Vouziers et 1 500 000 euros à Bogny-sur-Meuse –, rien, de nouveau, n’est investi pour nous », précise Bruno Bodson. « Très vite, nous avons compris qu’ils n’allaient pas garder tous les effectifs. Pendant toutes ces années, les sites n’ont été ni modernisés ni diversifiés alors que le secteur d’activité sur lequel l’entreprise est positionnée, les bielles pour moteurs de poids lourds, est défaillant », appuient Albert Cazeaux et Éric Billy. En mars 2024, pour les alerter de la situation, ils rencontrent le directeur adjoint de la DDEETS1 ainsi que des députés. Puis ils contactent la CFDT Grand Est, la CFDT Métallurgie et la Confédération.

Une action coordonnée de la CFDT pour sauver l’emploi

En juin 2024, Bruno Bodson lance une première grève, pressé par la CGT de Bogny-sur-Meuse. « Mais ils ne sont pas venus. Je me suis retrouvé tout seul. » Les deux suivantes, en septembre et novembre, ont été beaucoup plus suivies. « On savait qu’on se dirigeait vers un plan social. Il fallait faire pression sur Walor tant qu’il était à la table des négociations », explique le militant. En parallèle, la Confédération, l’Union régionale interprofessionnelle Grand Est, la CFDT Métallurgie et le syndicat multiplient les actions, contactent les ministères, prennent rendez-vous à Bercy pour rencontrer des membres du gouvernement et porter la voix des salariés…

À la mi-octobre 2024, ils tractent devant le Salon de l’automobile afin d’alerter sur la situation de l’entreprise ardennaise. « On a tous fait notre boulot, chacun à notre niveau, en s’écoutant, raconte Anne-Claude Vitali, secrétaire nationale de la CFDT Métallurgie. Je n’imaginais pas une telle issue. Forgex garde finalement les deux sites. Et à Vouziers, grâce à l’action de la CFDT, les salariés licenciés ont obtenu une indemnité supralégale de 7 000 euros ainsi que 3 000 euros d’accompagnement pour accéder à une formation et être soutenus dans une création d’entreprise. »

Tractage CFDT, à la mi-octobre 2024, devant les accès du Salon de l’automobile (porte de Versailles, à Paris).
Tractage CFDT, à la mi-octobre 2024, devant les accès du Salon de l’automobile (porte de Versailles, à Paris).© DR

À propos de l'auteur

Sabine Izard
Journaliste

« La coordination permet une force de frappe incroyable », reconnaît Carine Jacquin, secrétaire générale de la CFDT Grand Est, qui a également fait intervenir l’association Transitions Pro (AT Pro) pour présenter aux salariés les projets de reconversion possibles. « À Vouziers, la CFDT s’est démenée afin de sauver les emplois et l’outil industriel. On s’en sort dignement. Ça permet de continuer à faire vivre les sites, le territoire. Bien entendu, la CFDT va continuer à accompagner tous les salariés licenciés ! », conclut de son côté Xavier Guillauma, secrétaire confédéral CFDT chargé de l’industrie.