Syndicalistes passionnés et passionnants, le Français Édouard Martin et le Belge Claude Rolin sont devenus députés européens en 2014. Fiers du travail qu’ils ont accompli au Parlement, ils ont décidé de ne pas se représenter, mais espèrent que d’autres syndicalistes tenteront l’aventure. « La politique ne doit pas être réservée exclusivement à des professionnels qui en font carrière », assurent-ils. Interview croisée.
Le Belge Claude Rolin Né en 1957, Claude Rolin a mené un parcours syndical exemplaire qui le conduira en 2006 à devenir secrétaire général de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC). |
Le Français Édouard Martin Né en 1963, Édouard Martin a connu tous les mandats syndicaux au sein d’ArcelorMittal. Ses combats pour sauver les hauts-fourneaux de Florange ont fait de lui une personnalité médiatique. Il se présente en 2014 aux élections européennes sur la liste du Parti socialiste comme « acteur de la société civile ». Il n’a jamais adhéré à un parti politique. |
D’où vient votre engagement européen ?
Claude Rolin : Quand on habite, comme moi, près d’une frontière, l’Europe est une réalité. Gamin, j’allais faire mes courses en France, à Charleville, car c’est là qu’il y avait le grand supermarché. Syndicalement, mon investissement européen vient de loin. Il vient d’une collaboration avec la CFDT-Lorraine quand j’étais permanent jeune à la CSC (Confédération des syndicats chrétiens), au début des années quatre-vingt-dix. Nous étions intervenus en Roumanie et avions aidé à la naissance d’une organisation syndicale locale. Plus tard, quand je suis devenu secrétaire général de la CSC, je m’occupais également des questions européennes.
Édouard Martin : J’ai une histoire personnelle avec l’Europe. Je suis né en Andalousie à l’époque du franquisme. Je suis arrivé en France à 8 ans et j’ai encore le souvenir de ce qu’est une dictature, de la peur qu’éprouvaient mes parents. Et j’ai aussi le souvenir de l’Espagne quand elle est entrée dans l’Union, le changement démocratique, la croissance économique extraordinaire, l’accès aux soins, etc. Au niveau syndical, j’ai été représentant CFDT au comité d’entreprise européen d’ArcelorMittal, une multinationale présente dans neuf pays de l’Union.
Pourquoi s’engager en politique ? La décision a-t-elle été difficile à prendre ?
C. R. : J’avais au fond de moi l’envie de changer les choses de l’intérieur. N’ayant jamais été membre d’un parti politique, ce n’était guère envisageable, jusqu’au jour où l’on m’a proposé de mener une liste. J’ai alors décidé de saisir cette occasion. Ce n’était pas une décision facile à prendre, j’ai perdu sept kilos à cette époque. Et quand j’ai rendu tous mes mandats syndicaux, j’en ai pleuré. Pour un militant, le syndicat, c’est un peu la famille, cela a fait partie de moi pendant plus de trente ans. Certains amis syndicalistes m’ont encouragé dans cette démarche, mais d’autres, très proches m’ont dit : « Qu’est-ce que tu fais, tu nous lâches ? ! » Ce qui est amusant, c’est que les personnes qui ont eu les réactions les plus virulentes à l’époque sont les mêmes qui me disent aujourd’hui : « Tu fais le con, on a besoin de toi au Parlement, il faut que tu te représentes pour un second mandat. »
E. M. : Après deux années de conflit à Florange, le boulot syndical avait été fait. Nous n’avions pas réussi à éviter la fermeture des hauts-fourneaux mais il n’y a pas eu de licenciements et nous avons obtenu des investissements. Ce conflit m’avait rongé et j’avais envie de rebondir. Je ne pouvais plus rester dans cette boîte, négocier avec ce patron.
Quand j’ai eu la proposition du Parti socialiste, j’ai commencé par refuser. Contre toute attente, les copains d’Arcelor m’ont dit : « T’es idiot, pour une fois qu’on a l’occasion d’élire un ouvrier. C’est un moyen de poursuivre notre combat pour l’industrie. Cela a du sens. » Dans ma tête, cela a été la tempête. Des heures d’interrogations, de nuits blanches à cogiter, à peser le pour et le contre. J’avais peur pour ma famille car je savais que j’allais m’en prendre plein la gueule, que j’allais être accusé de traîtrise. Cela n’a pas loupé. Quand j’ai annoncé ma décision, j’ai fait face à un torrent de boue.
Comment expliquer cette tension entre le monde politique et le monde syndical ?
C. R. : C’est logique qu’il y ait des tensions. La CSC comme la CFDT sont deux organisations syndicales autonomes par rapport aux politiques. Je me suis toujours battu pour cette autonomie. À partir du moment où tu passes la frontière, c’est difficile de faire comprendre aux copains que tu ne modifies pas l’autonomie de l’organisation, mais que ton combat, tu vas le mener sur un autre terrain.
E. M. : Les politiques n’ont pas bonne presse en général chez les ouvriers, quel que soit leur parti politique. Alors, quand un copain décide de s’engager, c’est rapidement perçu comme une forme de trahison. Pourtant, j’avais reçu des engagements comme quoi je n’avais pas besoin d’adhérer au PS et que je conserverais ma liberté de parole.
Après cinq années passées en politique, quel regard portez-vous sur ce monde ?
C. R. : Le monde syndical reste un monde du « nous » tandis qu’en politique c’est un monde du « je ». Pour moi, c’est la grande différence. Quand tu es syndicaliste, tu parles au nom d’un collectif, tu es porte-parole. Quand tu es politique, sans trop faire de généralité, tu as davantage un plan de carrière, tu joues plus individuel. C’est deux mondes très différents. Pourtant, paradoxalement, tous les dossiers que…