“Avec l’ouverture à la concurrence, la multiplication des filiales risque de réduire nos moyens”

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icone Extrait de l'hebdo n°3956

Leur excellent score aux élections professionnelles prouve qu’ils ont la confiance des agents. Mais, depuis l’ouverture à la concurrence des lignes régionales, les cheminots CFDT des Pays de la Loire sont en train de vivre ce qu’ils redoutaient : le transfert d’agents dans des conditions douloureuses et la baisse de leurs moyens syndicaux.

Par Claire NillusPublié le 11/03/2025 à 13h00

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C’est tout récent, 102 cheminots de la région Pays de la Loire ont été transférés à la nouvelle filiale de la SNCF, SNCF Voyageurs Loire Océan (SVLO), inaugurée le 15 décembre 2024. Cette société – créée dans le cadre de l’ouverture à la concurrence des lignes de tram-train reliant Nantes à Châteaubriant et Nantes à Clisson, a remporté l’appel d’offres en 2023. Les salariés, eux, ont pris leur service sans enthousiasme. Le jour de l’inauguration de SVLO, ils étaient à 100 % en grève pour dénoncer leurs nouvelles conditions de travail.

« Pour éviter la conflictualité, nous avions proposé dès le résultat de l’appel d’offres un dialogue social par anticipation, avant la mise en place de la filiale, avec la négociation d’un accord de méthode ; nous avons eu une fin de non-recevoir de la part de la direction, précise Ali Benhadjba, secrétaire général de l’Union professionnelle régionale (UPR) de la CFDT Cheminots des Pays de la Loire. Finalement, la grève était le seul moyen de nous faire entendre. »

Trop de zones d’ombre

Certes, la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire (elle a acté la fin de l’embauche au statut et l’ouverture à la concurrence du transport français de voyageurs au 1er janvier 2020) comportait des garanties minimales de transfert… mais aussi beaucoup de zones d’ombre.

En décembre 2024, à l’échelle nationale, la CFDT Cheminots a signé un accord pour l’ensemble des filiales voyageurs SNCF afin que les futurs accords restent de bonne qualité et garantissent un minimum de droits sociaux. Problème : cet accord n’a pas été ratifié par les autres organisations syndicales ; il n’est donc pas opposable en droit puisque la CFDT n’est pas majoritaire au sein du groupe SNCF. Si certaines dispositions ont tout de même été reprises – par exemple le maintien du régime du temps de travail pendant deux ans pour les cheminots transférés –, il reste des points durs à négocier (intéressement, temps de travail, compte épargne-temps, etc.), notamment en ce qui concerne les modalités d’exercice du droit syndical. De plus, la nouvelle convention collective nationale du ferroviaire n’est toujours pas finalisée, comme le droit syndical au niveau de la branche.

Un droit syndical mis à mal

« Dans cette période compliquée, notre syndicalisme est mis à mal et doit s’adapter : à l’occasion de chaque création de filiale, nous devons organiser des élections et créer des listes, trouver des militants… avec un droit syndical largement revu à la baisse », déplore Ali.

Auparavant, les militants pouvaient détacher des salariés (adhérents ou non) pendant une demi-journée ou une journée au moyen de chèques syndicaux afin qu’ils puissent échanger avec eux au sujet de l’actualité revendicative et travailler sur un cahier revendicatif. Aujourd’hui, il est plus difficile de travailler ces aspects sans ce temps syndical. Les militants de la nouvelle filiale doivent parfois venir pendant leur temps libre s’ils veulent pouvoir préparer avec la section de l’UPR leur campagne électorale de mars.

« Avec l’ouverture à la concurrence, la multiplication des filiales risque de réduire de fait nos moyens, calculés sur la représentativité et le nombre d’électeurs », poursuit Ali. Et cela ne va pas s’arranger. « En 2032, une grande partie des agents actuels travailleront dans des filiales. Nous assistons au démantèlement systémique de notre entreprise et, au moment où nous avons le plus besoin de temps syndical pour informer et accompagner les agents, nous en avons moins. Cela génère des situations conflictuelles, telle celle que nous avons vécue le jour de l’inauguration de la ligne de tram-train de SVLO. »

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© SNCF Voyageurs Loire Océan - DR

Tous déplorent que la conduite du changement n’ait pas été anticipée. Pendant l’appel d’offres, la section CFDT n’a pas été consultée par la direction pour voir ce qui était socialement acceptable avant de répondre. « Gagner, c’est bien, mais il faut le faire avec toutes les parties prenantes. Parce qu’à la fin, il ne sera pas possible de faire travailler les salariés dans des conditions dégradées sans dégrader du même coup l’ensemble du transport de voyageurs. C’est un calcul de court terme dont il ne peut rien sortir de bon », regrettent les militants. « Impossible de balayer d’un coup la culture d’entreprise de la SNCF ; il existe des manières de fonctionner et des organisations de travail dont il faut tenir compte. »

Un score remarquable de la CFDT

Dans les Pays de la Loire, la CFDT Cheminots est la deuxième organisation syndicale derrière la CGT et devant Sud Rail. Lors des dernières élections du comité social et économique TER Pays de La Loire (1 500 agents), elle a plus que doublé son score en totalisant 33 % des voix. Un résultat qu’Ali attribue, notamment, aux bonnes retombées des tournées régulièrement effectuées auprès des agents. « C’est un temps d’échange, de prise de contact, de collecte de questions qui nous permet de revenir vers eux ensuite et de proposer l’adhésion. »

C’est aussi l’occasion pour les militants de proposer les formations qu’ils organisent (« Comprendre sa fiche de paie », « Connaître ses droits en tant que contractuel », « Découvrir la CFDT »…), auxquelles tous les agents, syndiqués ou non, peuvent s’inscrire. Bruno, secrétaire de la section TER Pays de la Loire, ajoute : « Ce résultat électoral, on le doit également à notre ligne de conduite. Nous ne rentrons pas dans les “guéguerres syndicales”. Nous ne répliquons pas aux attaques. Les agents, lassés des oppositions entre organisations syndicales, nous en sont reconnaissants. »

Des tensions identitaires de plus en plus visibles

Enfin, la section CFDT ne transige pas sur ses valeurs et doit faire face aux tensions identitaires de plus en plus visibles dans l’entreprise. Elle s’est engagée activement pour dénoncer des insultes racistes proférées contre des contrôleurs (agents du service commercial). Dans des lettres anonymes, ces agents ont été la cible de propos graves : « Sale Arabe », « La France aux Français », « Hors de question qu’un bougnoule devienne chef de bord ». La CFDT Cheminots Pays de la Loire a interpellé la direction à plusieurs reprises. Outre l’enquête de la CSSCT1 (en cours), elle a demandé un véritable plan d’action afin de sensibiliser en interne sur les valeurs de respect et de fraternité, avec la mise en place de formations obligatoires et un dispositif renforcé de signalements des comportements discriminatoires.

À propos de l'auteur

Claire Nillus
Journaliste

En guise de réponse, la direction a fait savoir qu’elle allait rendre obligatoires deux formations – « Travailler ensemble sans préjugés » s’adresse à tous les agents et managers, quels que soient leurs métiers, et « Manager les diversités et prévenir les discriminations », destinée à tous les managers. « La CFDT prend acte mais restera extrêmement vigilante. Nous sommes plus que jamais mobilisés pour construire un environnement de travail respectueux et inclusif. Ces formations feront l’objet d’un suivi attentif de notre part », affirme Ali.