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Extrait de l’hebdo n°3940
En novembre 1964, la CFTC devenait la CFDT afin de mieux représenter la diversité du salariat et les évolutions culturelles de la société. Six décennies plus tard, fidèle à ses valeurs et forte de son évolution, la CFDT est devenue le premier syndicat de France.
Il y a soixante ans, lors du congrès extraordinaire qui s’est tenu au Palais de sports à Paris les 6 et 7 novembre 1964, les syndicats de la CFTC votaient à 70,12 % le changement de sigle de l’organisation, qui devenait dès lors la CFDT. À la tribune du congrès, face à des délégués dont une partie rechigne à abandonner la référence à la morale chrétienne ainsi que le sigle auquel nombre de militants sont attachés, Eugène Descamps, alors secrétaire général de la CFTC, a cette formule restée célèbre : « En réalité, la CFTC est déjà la Confédération française démocratique du travail. La présence en son sein de chrétiens, de juifs, d’agnostiques et de musulmans fait qu’elle est déjà cette grande centrale que les travailleurs attendent ! »
1. Conseil national confédéral.
Parmi les près de 30 % de délégués qui refusèrent l’évolution, seul un tiers a décidé le soir même de quitter l’organisation pour, selon leurs dires, « continuer la CFTC ». À l’occasion d’un échange avec Marylise Léon lors du CNC1 d’octobre 2024, Jean Kaspar, secrétaire général de la CFDT de 1988 à 1992, qui fut en 1964 délégué d’un syndicat qui refusa l’évolution, expliquait ainsi les raisons de son choix de rester à la CFDT : « J’ai choisi la CFDT tout d’abord parce que j’ai la faiblesse de croire en la démocratie : quand une majorité l’emporte, on la respecte et, si besoin, on continue le combat à l’intérieur de l’organisation. Ensuite, quand on a des valeurs, on n’a pas besoin de les afficher sur un drapeau, on essaie de les vivre. Enfin, je ne voulais pas être complice d’une nouvelle scission dans le mouvement syndical. » Et Jean Kaspar d’insister, six décennies après ce choix : « Pour savoir où l’on va, il est important de savoir d’où l’on vient ; il faut assumer l’histoire dans sa totalité, avec sa part de lumière mais aussi sa part d’ombre. On ne construit pas l’avenir si on n’assume pas son passé. »
Reconstruction… sur la base de la laïcité
2. Syndicat général de l’Éducation nationale.
Bien sûr, l’évolution de 1964 ne vient pas de nulle part : juste après la Seconde Guerre mondiale, des militants CFTC, autour notamment de Paul Vignaux – qui fut l’un des fondateurs en 1937 du Sgen2, syndicat statutairement laïque au sein de la CFTC – ou de Fernand Hennebicq, défendent l’idée d’une évolution vers une organisation laïque et organisent le mouvement de réflexion interne Reconstruction.
Comme l’explique Hervé Hamon (coauteur, avec Patrick Rotman, de La Deuxième Gauche – Histoire intellectuelle et politique de la CFDT), « il y avait chez les animateurs de Reconstruction une notion obsessionnelle : conquérir une laïcité de l’esprit, ce qui veut dire être libéré de la tutelle religieuse de l’Église mais aussi de l’idéologie communiste ou paracommuniste ; bref, de croyances à la fois héritées et fabriquées afin de réussir à penser de nouveau par soi-même. Dès cette époque, ils portaient l’ambition de créer les conditions pour devenir le syndicat majoritaire en France. » Une analyse partagée par Jean Kaspar : « Je suis profondément convaincu que l’évolution a largement contribué au fait que la CFDT devienne, des décennies plus tard, le premier syndicat de France. Oui, nous voulions créer les conditions d’un syndicalisme majoritaire. »
L’héritage d’une solide organisation syndicale
« Cet héritage n’a cessé de se diffuser par la suite. La CFDT est devenue le syndicat, sans aucun doute, le plus en phase avec les attentes de la société ; avec l’idée qu’il ne fallait pas rater l’événement », pour reprendre la formule d’Hervé Hamon. C’est bien cela qui a permis à la CFDT de ne pas « manquer » Mai 1968, en soutenant dès le début l’aspiration des jeunes à plus de liberté et de démocratie. Puis, dans les années 1970, c’est dans cette continuité qu’elle est à la pointe sur l’écologie, naissante, sur les réflexions autour du productivisme et, bien entendu, sur le féminisme, avec notamment Jeannette Laot.
Cependant, insiste Hervé Hamon, « il ne faut pas regarder cette période comme un âge d’or révolu. La CFDT reste fidèle à elle-même. Le Pacte du pouvoir de vivre est, en quelque sorte, dans la filiation de 1964. Et de ce qu’est la CFDT lorsqu’il faut penser et anticiper les évolutions de la société dans une période où l’on se trouve face à une nécessité d’anticipation absolument immense, en particulier pour le syndicalisme. »
Marylise ne disait pas autre chose devant le CNC : « Grâce à cette histoire, à notre histoire, dont 1964 est un moment capital, on a un socle sacrément solide concernant nos valeurs. On dit souvent, et c’est une évidence : nos valeurs sont notre boussole. » Ce sont ses valeurs et sa capacité à se remettre en question qui ont permis à la CFDT d’acter sa rupture d’avec le politique via le rapport Moreau, en 1978, qui entraîne le « recentrage ». Cette autonomie sera sans cesse confirmée depuis par la formule « ni neutre ni partisan » et la fin des consignes de vote données par la Confédération depuis 1986… exception faite lorsqu’il s’agit de faire barrage à l’extrême droite.
Une CFDT ancrée dans le présent et tournée vers l’avenir
Selon la secrétaire générale de la CFDT, le plus important est aujourd’hui de « continuer de faire en sorte que la CFDT soit moderne, qu’elle puisse assumer de vivre dans un monde qui bouge, de ne pas être figée ou enfermée dans des postures ou dans des dogmes. Et de toujours agir pour améliorer la vie les travailleurs en partant de leurs réalités. » Ce à quoi, ému mais légitiment fier de l’organisation et de son évolution, Jean Kaspar a répondu : « Parce que vous poursuivez le combat que d’autres ont commencé avant vous, avec une conception non figée de notre identité, vous êtes constructeurs de la nouvelle CFDT. » Une CFDT qui correspond, à n’en pas douter, au « syndicalisme démocratique, fort, représentatif, délibérément européen et internationaliste, ouvert sur les questions de société […] suffisamment confiant pour négocier des avancées en termes de réduction des inégalités et affronter les nécessaires remises en cause qu’imposent ses ambitions transformatrices ». Syndicalisme qu’il appelait de ses vœux avec Edmond Maire et Nicole Notat dans les colonnes de Syndicalisme Hebdo, en 2004, à l’occasion des quarante ans du congrès de Paris.
Le dossier spécial de CFDT Magazine
Pour aller plus loin à propos de ce bel anniversaire, CFDT Magazine a publié un dossier très complet donnant la parole à des militants et des universitaires qui livrent leurs regards croisés sur la pérennité et la modernité des valeurs et des combats de la CFDT.